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1964 Negro Spirituals

John WILLIAM - Negro Spirituals (1964)
Par LE KINGBEE le 4 Février 2023          Consultée 665 fois

Lors d’une récente visite dominicale dans une église de l’Auxerrois, un organiste eut la bonne idée d’interpréter "Michael Row The Boat Ashore". Composé avant la Guerre Civile sur l’île de Sainte Hélène (Caroline du Sud), ce standard est incorporé en 1867 à "Slave Songs of the United States", un recueil regroupant 136 spirituals, un jalon entre la musique afro-américaine et le registre folklorique. Curieusement, cet air bien connu rentré depuis dans l’inconscient collectif populaire, ne fut découvert qu’au milieu des années cinquante par Tony Saletan, un musicien folkloriste pionnier de la télévision éducative pour enfants. Au fil des mois, la chanson est enregistrée sous plusieurs intitulés : si Pete Seeger fut le premier à la mettre en boîte lors d’un show au Musée d’Art Moderne de New-York en 1955, la chanson a les honneurs du Billboard en grimpant sur la première marche des charts pop en 1961 via la reprise des Highwaymen, groupe de Folk collégial mené par Dave Fisher. A croire comme l’annonce l’adage que les voies du Seigneur sont impénétrables.

Si cet air bien connu, repris entre autres par Harry Belafonte, PETER, PAUL & MARY ou Bobby Darin, reste lié à la culture et à l’histoire américaine, il a traversé l’Atlantique, s’exportant sur notre territoire au milieu des sixties. Si Johnny HALLYDAY chanta en 1965 "Pour nos joies et nos peines", adaptation de Jean-Jacques Debout, le titre avait été repris bien avant par John WILLIAM. Cette visite impromptue d’une église du terroir nous amène aujourd’hui vers un chanteur atypique qui marqua le début des années soixante, se démarquant de la production dite de consommation courante.

En préambule, il n’y a pas d’erreur de typographie ni de faute de frappe, John William (sans S) est le presque homonyme du chef-d’orchestre américain spécialisé dans la musique de films et les concertos.

Ernest-Armand Huss voit le jour à Grand Bassam, en Afrique Occidentale française (aujourd’hui Cote d’Ivoire) en 1922. D’ascendance alsaco/ivoirienne, il passe son enfance en Ile de France où il est élevé par une lointaine tante. Interne dans un pensionnat, il devient ajusteur-outilleur chez Renault sur le site de Boulogne Billancourt. Après avoir été réquisitionné par le Service Civique Rural, il est expédié à Montluçon chez Sagem. En 1944, à la suite de l’explosion d’un atelier de fabrication de radars allemands, il est arrêté par la Gestapo et envoyé dans le camp de concentration de Neuengamme. Ses connaissances techniques et industrielles lui permettent de sauver sa peau, transféré au port de Lubeck, il est miraculeusement recueilli par la Croix Rouge Suédoise.

Paris libéré, il regagne la Capitale. Incapable de reprendre son métier à l’usine dont les murs lui rappellent ceux des camps, il se lance dans l’apprentissage de la chanson. En 1952, sous le pseudonyme de John William, il remporte le trophée du Grand Prix d’Interprétation de Deauville, ce qui lui permet d’enregistrer pour Pathé son premier 45-tours "Si toi aussi tu m’abandonnes", adaptation du western High Noon (Le Train sifflera trois fois). Marié et père en 1954, John se spécialise dans les adaptations françaises de génériques télés et de films hollywoodiens : Alamo, La Grande Evasion, Lawrence d’Arabie, Docteur Jivago. Etabli avec sa famille à Antibes, il grave en 1965 son cinquième album pour Polydor dans un registre qu’il affectionne, le Gospel.
La suite s’annonce riche en succès. Personnage discret, marqué par son séjour en déportation, John écrit son autobiographie Si toi aussi tu m’abandonnes en 1990. Cinq ans plus tard, il participe au documentaire de Serge Bilé Noirs dans les camps nazis. Il se voit distingué du titre de Chevalier de la Légion d’Honneur en 2005. John WILLIAM nous quitte en 2011 à 88 ans.


Mu par une importante foi religieuse depuis son retour de déportation, John WILLIAM s’est également consacré à un travail de mémoire sur plusieurs thématiques : la déportation, l’esclavage et la foi. Sa voix chaude et son timbre de baryton se prêtaient naturellement au registre du Gospel, domaine qu’il n’avait jusqu’alors que très peu parcouru, probablement par soucis de légitimité ou d’un trop plein de modestie.

Enregistré Salle Pleyel, Negro Spiritual laisse la part belle, comme l’indique le titre, aux Spirituals, aux psaumes tirés des évangiles ou des registres Folk et Folkloriques, tirés de trois concerts captés le 18 décembre 1963 et 5-6 février 64. La pochette issue d’une prise de vue en gros plan d’André Nisak, photographe attitré des labels Vogue et Polydor, auteur de plusieurs pochettes de singles du chanteur, diffuse une atmosphère cérémoniale, quasi protocolaire. Secondé par une solide armada dirigée par Jean Bouchety, dans laquelle figurent certains des meilleurs accompagnateurs de la scène Jazz française ou d’orchestres nationaux, parmi lesquels le contrebassiste Pierre Michelot (ex =-Theolonious MONK, Stan GETZ, Miles DAVIS), le trompettiste cornettiste Roger Guerin (Quincy Jones, Dizzy Gillespie), le guitariste Victor Apicella (Georges BRASSENS), le batteur Armand Molinetti (Sidney Bechet, Chaussettes Noires) et les choristes Christine Legrand (sœur de Michel) et Anne Germain (doubleuse de Deneuve dans les films de Demy).

D’entrée de jeux, l’orgue tisse une atmosphère d’église réconfortante avec "Va mon cœur", adaptation du parolier Jacques Poterat de "Deep River", spiritual traditionnel popularisé par le Fisk Jubilee Singers. Au générique de plusieurs films hollywoodiens, la chanson est reprise à toutes les sauces (Paul Robeson, Mahalia Jackson ou Barbra STREISAND jusqu’à Bobby WOMACK) et John WILLIAM n’a pas à rougir, bien au contraire, de cette belle entrée en matière.
L’intro de cuivres et le sifflement en contrepoint de "Michael" instaurent une atmosphère de tranquillité, pas très éloignée de l’ambiance Folk de certains feux de camps. Si la chanson a connu plusieurs variantes, aussi bien au niveau de son titre que des paroles, cette interprétation reste crédible et on peut même affirmer sans crainte qu’elle est moins 'neuneu' pour nos oreilles françaises que le tube gentillet des HIGHWAYMEN. Seconde adaptation de Jacques Poterat, "Paix aux pauvres gens" est tirée du "Gone Down Moses" popularisée par Paul Robeson. A l’image de nombreux Gospels américains, le morceau s’ouvre sur un chœur que renforcent une trompette et des volutes d’orgue. Claude NOUGARO se sert de la même mélodie pour "Armstrong". Les cinéphiles reconnaissent le titre au générique de "Blackboard Jungle" (Graine de violence) chanté par Sidney Poitier. "Jericho" * est une adaptation de "Joshua Fit the Battle of Jericho", suite biblique du titre précédent. Ce standard remontant au XIXème siècle est repris par tout le gotha de la chanson populaire américaine.

Traditionnel composé avant la Guerre Civile Américaine, "Every Time I Feel The Spirit" demeure moins connu. Dans l’Hexagone, le titre connaît une petite exposition via l’interprétation du trio The Peters Sisters. Adapté sous l’intitulé "Notre Père", la présente version vaut selon nous les bondieuseries hyper sucrées des Jordanaires ou de Nat King Cole.
Hymne baptiste traditionnel "I’m So Glad Jesus Lifted Me" a fait l’objet de plusieurs moutures se transformant en "I’m So Glad" ou "Jesus Lifted Me". Transposé en "Merci Dieu Merci", WILLIAM délivre ici sa reconnaissance à Dieu et au paradis ; au milieu du titre, le chanteur nous assène un court monologue. Revu et corrigé par Jessy Dixon et les Sensational Nightingales, ce titre est toujours pratiqué par de nombreuses chorales américaines.


Seule chanson interprêtée en anglais, "Swing Low", émanation du célèbre "Swing Low, Swing Chariot", est l’œuvre d’un esclave indien choctaw Wallis Willis. Inspiré par le Jourdain et le prophète Elie, ce standard est retranscrit par le pasteur Reid et envoyé au Fisk Jubilee Singers qui l’enregistrent dès 1909 pour la firme Victor. Depuis, beaucoup d’eau a coulé dans le Jourdain, la chanson fera l’objet de nombreuses reprises (Big Bill Bronzy, Sam COOKE, ELVIS, Eric CLAPTON jusqu’à UB 40). Dernièrement, le titre a fait les choux gras de la presse sportive : utilisé depuis 1988 comme hymne officieux lors des rencontres de l’équipe de rugby du XV de la Rose, certains dignitaires anglais ont tenté de le proscrire suite au meurtre à Minneapolis de George Floyd, voyant une connotation raciste dans cette chanson d’esclave. C’est oublié que l’Angleterre où l’esclavage avait été aboli presque 200 ans plus tôt en 1833 avait tenu un rôle prépondérant dans la traite négrière.
On ignore encore la véritable provenance de "Saint James Infirmary", titre accrédité à Irving Mills ou Don Redman. Ce grand classique inspiré d’une ballade anglaise du XVIIIème siècle fait l’objet d’environ 700 covers aux paroles parfois changeantes. Chez nous, Eddy MITCHELL se sert de la mélodie avec "J’avais deux amis". John WILLIAM nous en délivre une version qui emprunte une coloration proche de la version de Louis Armstrong avec nappage de trompette et clarinette. Autre réussite avec "Qui peut savoir", adaptation de "Nobody Knows the Trouble I've Seen", titre remontant à la période de l’esclavage. Si l’orgue Hammond tisse une atmosphère d’église, le chant glisse un message d’espoir et d’amour, renforcé par la puissance. Cette version n’a rien à envier à celles de Marion WILLIAMS, Paul Robeson ou des STAPLE SINGERS, chose rare qui mérite d’être signalée.

Avec "Ma Maison du Kentucky", adaptation de "My Old Kentucky Home", l’orchestre et le chant s’orientent vers une coloration plus folk. C’est sur une ambiance fleurant bon les feux de camps que se clôt le récital avec "Ezekiel Dans Le Ciel", adaptation fidèle de "Ezekiel Saw The Wheel" compo de William Levi Dawson, chef de chœur et arrangeur du prestigieux Tuskegee Institute. Encore une fois, cette version crédible rivalise pleinement avec celles de Paul Robeson ou de Jack Scott & The Fabulous Chantones.

Personnage discret, humble et sincère, John WILLIAM livrait ici l’une des rares productions françaises de Gospel pouvant concurrencer la production religieuse américaine des années 60. Chant puissant et plein de feeling, évitant le pathos avec des adaptations ne tombant jamais dans une facilité puérile, ajouté à une orchestration solide s’épargnant les longueurs, restent aujourd’hui encore des éléments souverains. Peut-être la meilleure production française dédiée à la musique religieuse avec "Requiem" de Jean-Christian Michel. Pour une meilleure cohérence, ce disque est à classer dans le tiroir du Blues.


*Titre homonyme à ceux de Joni Mitchell, Dick Rivers et U2.

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- John William (chant)
- Victor Apicella (guitare)
- Paul Piguillem (guitare)
- René Duchoissoir (guitare, basse)
- Pierre Michelot (contrebasse)
- Alphonse Masselier (basse, contrebasse)
- Armand Molinetti (batterie)
- André Arpino (batterie)
- Marcel Blanche (batterie)
- Jean-claude Casadesus (percussions)
- Michel Lorin (percussions)
- Gérard Perotin (timbales)
- Jaky Bamboo (bongos)
- Emile Serre (bongos)
- Michel Ramos (orgue)
- Georges Arvanitas (piano)
- Jean Claudel (piano)
- Jean-claude Fenol (piano)
- Jean-pierre Drouet (vibraphone)
- Claude Civelli (saxophone, flûte)
- Georges Bessière (saxophone, clarinette)
- Georges Grenu (saxophone, clarinette)
- Roger Simon (saxophone, clarinette)
- Pierre Gossez (saxophone)
- Marcel Galiegue (trombone)
- Raymond Katarzynski (trombone)
- André Paquinet (trombone)
- Benny Vasseur (trombone)
- Gilbert Dias (trompette)
- Roger Guerin (trompette)
- René Leger (trompette)
- Henri Vanhaeke (trompette)
- Michel Plockyn (flûte)
- Roger Guerin (cornet)
- Gabriel Vilain (tuba)
- Jeannette Baucomont (chœurs)
- Michele Bertin (chœurs)
- Michele Dorney (chœurs)
- Anne Germain (chœurs)
- Alice Herald (chœurs)
- Christiane Legrand (chœurs)
- Claudine Meunier (chœurs)
- Romuald (chœurs)
- Jean-claude Briodin (chœurs)
- Jean Cussac (chœurs)
- Claude Germain (chœurs)
- José Germain (chœurs)
- Jacques Hendrix (chœurs)
- Bob Smart (chœurs)
- Ward Swingle (choeurs)


1. Va Mon Coeur (deep River)
2. Michael (michael Row The Boat Ashore)
3. Notre Père (ev'ry Time I Feel The Spirit)
4. Merci Dieu Merci (i'm So Glad Jesus Lifted Me)
5. Swing-low
6. Ma Maison Du Kentucky (my Old Kentucky Home)
7. Paix Aux Pauvres Gens (go Down Moses)
8. Jericho
9. Saint James Infirmary
10. Le Chemin Du Ciel (glory)
11. Qui Peut Savoir (nobody Knows)
12. Ezekiel Dans Le Ciel (ezekiel Saw The Wheel)



             



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