Il est probable que seuls les cinéphiles avertis connaissent Colleen Rennison. Native de Vancouver où elle voit le jour en 1987, Colleen commence sa carrière dans le cinéma dès sept ans en figurant dès 1994 au générique de Max, un film indépendant de Charles Wilkinson. Gamine, elle enchaîne, jouant notamment dans Unforgettable avec Ray Liotta, The Story Of Us avec Bruce Willis et Michelle Pfeiffer ou Carpool, une comédie purge avec Tom Arnold. Colleen est aussi au générique de plusieurs séries télé : The Sentinel, Millennium et Stargate SG-1. Bref, des films et des séries que beaucoup ont oubliés.

En 2005, une démo envoyée par sa mère Cecilia atterrit dans les bureaux de City TV, une chaîne de télé canadienne. Parmi de nombreux candidats, Colleen est sélectionnée pour participer à un radio crochet. Cela lui permet de se produire lors d’un gala pour la David Foster Foundation, un organisme créé par le célèbre producteur en faveur des greffes d’organes.
Trois ans plus tard, on retrouve Colleen à Broadway où elle a incorporé un programme de cours de théâtre pour se perfectionner. Malheureusement, les responsables trouvant sa voix trop grave la congédient. Remarquée par Shady Records, le label d’EMINEM et de Paul Rosenberg, elle signe un contrat mais met fin à l’aventure au bout de six mois, suite à des divergences artistiques.

La vie d’anciens enfants-acteurs tombés plus ou moins dans l’oubli n’est jamais chose facile à gérer. Ses échecs musicaux et cinématographiques successifs l’amènent à se tourner vers un monde de festivités où l’alcool, la drogue et le superficiel font bon ménage. Au bord du désœuvrement, Colleen décide de regagner ses pénates à Vancouver. C’est là qu’elle se relance dans la musique en fondant No Sinner (sorte de palindrome de son nom), groupe de Rock Blues dissout en 2014 après deux albums publiés par le label hollandais Provogue.

Invitée à participer à une session dirigée par Steve Dawson, guitariste-producteur et patron du label Black Hen Music, Colleen suscite aussitôt l’intérêt du Canadien qui décide de l’enregistrer. Mis en boîte en à peine une semaine, See The Sky About To Rain est un modèle d’Americana dont le titre provient d’une chanson de Neil YOUNG.
Si Dawson s’occupe d’un studio d’enregistrement à Vancouver, il vient d’acquérir un second studio au cœur de Nashville. Le producteur-guitariste fait appel à quelques sidemen canadiens attitrés du label : le batteur Geoff Hicks (ex-Colin James, Jim Byrnes), le bassiste Jeremy Holmes (Carolyn Mark, Jim Byrnes) le claviériste Darry Havers. Une solide section de cuivres issue du terroir vient prêter main forte avec le saxophoniste harmoniciste Jim Hoke (Paul McCARTNEY, Dolly PARTON, Boz SCAGGS), le trompettiste Steve Herrman (Buddy GUY, Webb WILDER) le tromboniste Bill Huber (Bob SEGER, Clarence CARTER). A cette belle troupe, se joignent le multi-instrumentiste Tim O’Brien (CROOKED STILL, Mark KNOPFLER, Dwight YOAKAM), Sarah Dugas (ex-Duhks, Madrigaïa) et les McCrary Sisters*, un quartet Gospel implanté à Nashville depuis des lustres.

Dès la première écoute, un doute subsiste. On se demande si on ne s’est pas trompé de disque, échangeant par erreur ce CD avec une galette de Lucinda WILLIAMS. Si la voix est grave, l’orchestration nous renvoie à une pépite d’Americana complètement inattendue. Si certains croyaient entendre une nouvelle chanteuse dans le style Indie Folk (Caroline Spence, Esther Rose, Jade Jackson) ou Sadcore (Lana DEL REY) ou Country Pop (Taylor SWIFT), ils se trompent de direction.

Si l’album n’est constitué que de reprises, il faut avouer que l’assemblage entre anciens hits oubliés et titres obscurs offre un patchwork pertinent.
D’entrée, il vous faudra bien tendre l’oreille pour reconnaître "All My Glory", compo de Robbie Robertson figurant dans le troisième squeud du BAND. Si l’absence en arrière-plan d’un accordéon n’est pas rédhibitoire, l’apport d’un délicat saupoudrage cuivré renforce l’intensité du texte.
Seconde pioche issue du même album, "Stage Fright" livre un texte ambivalent abordant les problèmes liés à la gloire et au trac, que peut rencontrer un jour n’importe quel musicien. Titre abordant métaphoriquement les méfaits de l’héroïne, "White Freightliner" demeure une compo de Townes Van Zandt tombée curieusement dans la besace de nombreuses formations Bluegrass. Sans-doute faut-il voir une suggestion de Tim O’Brien qui avait déjà interprété le morceau en compagnie de Darrell Scott. La combinaison du banjo et du dobro fonctionne à fond dans ce titre festif.

Au rayon des reprises d’obscurités, Colleen apporte un brin de jeunesse à "Whiskey, Whiskey", une compo de Tom Ghent. Si l’original au chant parfois larmoyant bénéficiait de l’apport du guitariste Eddie Hinton et de Charlie McCoy, la présente version tire profit du glissando de guitare, d’un orgue d’église tandis que les cuivres, presque pudiques, renforcent la puissance des textes. Les arrangements donnent un coup de jeune au morceau. Une version selon nous bien plus enivrante que celles de Nat Stuckey ou Kris KRISTOFFERSON.
Colleen reprend "Oleander", une ballade mélancolique de sa compatriote Sarah Harmer. Encore une fois, le texte oscille entre spleen et espoir avec l’histoire d’un laurier-rose, une allégorie à un amour perdu ou à une reconquête.
La chanteuse rend hommage aux Blue Shadows, groupe Country Rock de Vancouver, avec "The Fool Is The Last One To Know" ; si le texte est une variante de l’adage voulant que le cocu soit le dernier averti, l’orchestration nous expédie à grands coups de bottes en plein cœur du Nashville Sound du milieu des sixties avec pedal steel, fiddle et piano à la Floyd Cramer. On replonge dans un décor où fusionnent étrangement mélancolie et sérénité avec "The Crew", compo du couple Priscilla Coolidge/Booker T Jones.

Parmi ce large éventail de reprises, il paraissait difficile d’échapper à Leonard COHEN, autre grande figure du paysage musical canadien. C’est ainsi qu’elle nous offre une interprétation moins dépouillée de "Why Don’t You Try", titre figurant dans l’album New Skin For the Old Ceremony. Si le banjo est toujours présent, le dobro prend les commandes au bout d’une soixantaine de secondes, conférant au titre un peu plus de gaité sur ce récit d’amour malheureux.
Elle s’attaque à "Coyote", titre de Joni MITCHELL, autre grande icone du Folk Pop canadien. Une sobre slide et des percussions apportent plus de nuances à l’original et aux curieux accords de Joni MITCHELL. Autre titre gorgé de grisaille avec "Wing Blue", création du californien Tom Russell, grande figure de l’Americana ayant longtemps sévi du côté de Skid Row à Vancouver. Si le titre tient autant du Folk que de la Country, il s’engage ici vers une orientation de Country Alternative, le jeu de guitare à plat de Dawson n’étant pas étranger à cette coloration.

Si le ton d’ensemble confère à l’album une coloration parfois sombre propre aux registres de l’Americana et de la Country Alternative, l’atmosphère se décante avec "Fancy", excellente compo de Bobbie GENTRY. Le ton monte d’un cran, l’organe vocal plein de puissance apporte un sentiment de rage plus ou moins contenue. Encore une belle histoire avec cette mère misérable conduisant sa fille sur les dignes chemins de la prostitution. RENNISON nous glisse ici le chaînon manquant entre la version d’origine et celles d’Irma THOMAS et Rosalind Madison, toutes deux ancrées dans la Soul. Une version à faire pâlir plusieurs countrywoman repreneuses du morceau (Lynn Anderson, Reba McEntire) ainsi que toute une cohorte de jeunes chanteuses sélectionnées pour les différents shows du concept "The Voice" qui confondent bien souvent hurlements et esbroufe avec qualité et émotion.

Terminons notre tour d’horizon avec le titre de l’album servant par ailleurs de clôture, comme si Colleen RENNISON fermait un cycle. Cette fois, c’est encore une icone du Canada qui est revisitée en la personne de Neil YOUNG. Cette dernière piste superbement maîtrisée suinte de quiétude et parvient même à faire oublier la version de son créateur ainsi que celle des BYRDS figurant dans le dernier album studio du groupe.

Avec une pochette qui ne paie pas de mine, cette production soignée mérite de sortir du fond des oubliettes. Colleen RENNISON dispose d’un chant puissant d’où s’échappe une sensibilité contenue. Les accompagnateurs n’ont de cesse de placer la chanteuse sur orbite. Seul regret, que les McCrary Sisters ne soient pas plus présentes. A ranger entre Lucinda WILLIAMS, Joan OSBORNE et Shannon McNally.

Note réelle 3,5.


*Ann, Deborah, Regina et Alfreda McCrary sont les filles du Révérend Sam McCrary, ancien membre des Fairfield Four. Regina a été choriste pour Bob Dylan dès la fin des seventies. Deborah nous a quittés en juin 2022.