En plus de remporter la palme du nom le plus difficile à retenir, le label FAX +49-69/450464 se paye également le luxe de posséder le catalogue le plus labyrinthique qui soit. Prenons par exemple l'année 1993 : à côté des albums de Pete Namlook lui-même, il faut aussi ajouter ceux qu'il réalise en compagnie de ses camarades et leurs propres projets en solo, ainsi qu'une longue liste de singles, d'E.P's, de compilations et de coffrets en tous genres, soit plus d'une centaine de disques au total. Forcément, ça décourage un peu. D'autant plus lorsqu'on se rend compte qu'un bon nombre se révèle d'un intérêt assez discutable. Toutefois, ne baissons pas les bras : c'est parfois au milieu des épines qu'on trouve les plus belles roses. Et si concours botanique il devait y avoir, nul doute que The Fires of Ork se placerait parmi les premières places.

Cette fois-ci, c'est avec une jeune pousse du milieu techno/ambient que Pete NAMLOOK a décidé d'enregistrer. Geir Jenssen, alias BIOSPHERE, commence en effet à se faire une certaine réputation dans les clubs européens après la sortie d'un premier album, Microgravity. Cette collaboration est pour lui l'occasion d'expérimenter et c'est sans étonnement que l'on entrevoit ici quelques éléments qu'il perfectionne plus tard sur l'excellent Patashnik (1994). Le nom du duo est une référence à Blade Runner, plus particulièrement à une citation approximative du poète William Blade prononcée par l'acteur Rutger Hauer, samplée à plusieurs reprises sur le double morceau-titre. Le Norvégien était à l'époque en pleine période science-fiction, mais sa rencontre avec NAMLOOK, grand admirateur devant l'éternel de Chill Out (1), apporte à sa musique une touche de psychédélisme qu'on ne retrouve quasiment nulle part chez BIOSPHERE.

Le terme de 'trip' est sans doute aujourd'hui bien galvaudé lorsqu'il s'agit de qualifier une œuvre musicale et pourtant, Dieu sait s'il correspond parfaitement à un disque tel que celui-ci. The Fires of Ork est à l'ambient techno ce que Ash Ra Tempel était à la Kosmische Musik : un album qui, une fois lancé, ne redescend plus. Nos deux compères prennent leur temps, jusqu'à atteindre les vingt-deux minutes sur la très ambient "Gebirge", morceau sombre et embrumé, se muant en une contemplation mystique alors que du lointain émerge une voix venant nous réciter un passage d'Also Schprach Zarathoustra de Friedrich Nietzsche.
Dans la même veine, néanmoins nettement plus apaisé, "The Facts of Life" se laisse planer entre les nuages, poussé par une brise imperceptible. Encadrant l'ensemble, "The Fires of Ork I" et "The Fires of Ork II" nous offrent au contraire un moment techno hypnotique et envoûtant. C'est cependant au milieu du disque que trône le joyau de la couronne. La nocturne "Talk To The Stars" s'ouvre avec gravité sur une lente introduction, presque inquiétante au départ, avant de nous engloutir dans une escapade sous la voûte céleste et ses milliers d'étoiles. Une petite merveille de musique électronique onirique, sur laquelle une voix féminine reprend un communiqué de presse de KLF Communications, énonçant les 'objectifs' de l'ambient house.

Édité à seulement cinq cents exemplaires dans sa version originale, l'album a tout de même connu une certaine notoriété grâce à une nouvelle sortie chez les Belges d'Apollo Records en 1994, à qui l'on doit notamment Selected Ambient Works 85-92 d'APHEX TWIN. Sans oser la comparaison avec ce dernier, The Fires of Ork mérite tout de même son statut de classique de l'ambient techno, toujours très efficace près d'une trentaine d'années après. Pour Geir Jenssen et Pete Namlook, l'aventure n'était toutefois pas encore terminée, puisqu'un second effort verra le jour en l'an 2000.

(1) Premier album de The KLF, auquel le duo rend d'ailleurs hommage avec "Talk To The Stars".