S'il y a une chose que l'on ne peut guère reprocher à Pete Namlook, c'est bien de ne pas avoir su s'entourer des meilleurs musiciens dans les années 90. Outre de grands noms déjà bien établis, à l'instar de Klaus SCHULZE, Robert Görl ou Bill LASWELL, il avait également noué des liens avec nombre de nouveaux venus de la scène électronique à l'époque, qu'il produisait alors sur son label Fax +49-69/450464, Fax pour les intimes, allant souvent jusqu'à collaborer directement avec eux en studio, histoire de pouvoir encore enrichir son catalogue. Parmi les plus prometteurs, citons Richie Hawtin (PLASTIKMAN), Geir Jenssen (BIOSPHERE), Tetsu Inoue, Bobby Bird (HIGHER INTELLIGENCE AGENCY) ou encore David Moufang (DEEP SPACE NETWORK), dont les noms résonnent toujours délicieusement aux oreilles des amateurs du genre. S'il n'a jamais joué avec Richard D. James, il a en revanche réussi à débaucher l'un de ses lointains compagnons de route en la personne de Morris Gould, Mixmaster Morris à la scène, qui venait alors tout juste de sortir son Flying High, disque essentiel de la première vague ambient techno en Angleterre. Nos deux compères produisent ainsi deux albums ensemble, dont le premier, simplement intitulé Dreamfish, sort en 1993, année bénie du label Fax (1).

Petit poisson coloré des mers chaudes, le 'dreamfish', ou saupe, contient une substance psychoactive parfois utilisée dans certaines îles tropicales lors de rituels chamaniques, ainsi que nous le renseigne une citation du pharmacologue Alexander Shulgin dans le livret intérieur. Pete Namlook et Mixmaster Morris vous proposent ainsi ni plus ni moins de procéder, chez vous, seul ou accompagné, à l'ingestion d'un Sarpa salpa et d'en observer les effets. Album psychédélique par excellence, Dreamfish pourrait être la réponse tardive à "Echoes" de PINK FLOYD, une aventure marine hallucinée, un trip électronique entre tombants et lagons. Reléguant la techno au placard, nos deux plongeurs en herbe composent une œuvre d'ambient pur aux boucles hypnotiques, mais aussi étonnamment chill et mélodique.

Des myriades de poissons chatoyants s'éloignent en hâte à notre approche, "School of Fish" entame par une exploration paisible au-dessus des coraux et des gorgones. Un peu en retrait, les percussions nous transportent vers la Polynésie. Tout aussi lumineux, "Fishology" rencontre des robots-saupes, ou peut-être n'est-ce là qu'un effet de la drogue ? La piste peut en tout cas se montrer un peu déstabilisante avec ses petits bleeps incessants et sa voix distordue, néanmoins bien compensés par une basse profonde en arrière-plan. "Under Water", la plus atmosphérique, conclut enfin par une très lente excursion au clair de lune au milieu des baleines, laissant l'auditeur sombrer dans un agréable demi-sommeil entre deux eaux. Mais le trésor de cet étrange océan, c'est "Hymn", morceau de près de vingt-huit minutes, basé sur une boucle de huit notes répétée sous différentes formes d'un bout à l'autre. Une longue descente au cœur des ténèbres abyssales, entourée de méduses géantes et de siphonophores, au milieu desquels Terence McKenna apparaît par intermittence et nous expose ses thèses sur le monothéisme occidental. On vous aura prévenu, le dreamfish, c'est un peu fort !

Vous auriez néanmoins tort de ne pas tenter l'expérience. Si "Fishology" demeure un cran au-dessous, le reste de l'album est un must de l'ambient psychédélique des années 90. "School of Fish" et surtout "Hymn" marquent durablement, mais "Under Water", dans un registre certes très différent, n'est pas non plus à sous-estimer. Pete Namlook et Mixmaster Morris ne feront rien de mieux ensemble, bien que Dreamfish 2 deux ans plus tard ne se montre pas complètement inintéressant. Live the dream, dream the fish !.

(1)Dreamfish a fait l'objet d'une réédition quasi-immédiate chez Rising High Records en Angleterre, avec en bonus une pochette affreuse, puis en 1996 sur Ambient World, second label de Pete Namlook.