Je crois que mon esprit critique, si tant est que j'en possède un, n'est pas applicable au piano. Jouez-moi quelques notes sur ce noble instrument et je fonds, je m'effondre, je m'épanouis, je succombe et revis. Alors que je croyais la guitare être mon instrument de prédilection, voici que ces touches noires et blanches, lorsqu'elles sont effleurées avec talent ou martelées avec courage, viennent remettre en cause mes certitudes. Récemment, par l'entremise de Cécile Séraud ou de Pierre Lapointe seul au piano, mon cœur de rocker s'est mis à battre la chamade à l'écoute de ces réalisations instrumentales, souvent intimistes, qui mettent le piano en vedette. La sortie de Still, deuxième album du projet français Ô LAKE, ne semble pas parti pour changer la donne.

Tirant son nom du poème de Lamartine "Le Lac" ("Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! | Suspendez votre cours : | Laissez-nous savourer les rapides délices | Des plus beaux de nos jours !"), Ô LAKE est né en 2017 par la volonté de Sylvain Texier, membre du groupe post-rock FRAGMENTS. Présenté comme un projet musical néo-classique aux influences pop, aussi poétique que romantique, ce one-man band propose avec Still un deuxième album intégralement instrumental dont le piano, s'il n'en est pas l'unique ingrédient, constitue la clé de voûte. Porté par une richesse mélodique désarmante et bouleversante, Still, enregistré en compagnie d'un orchestre à cordes de 40 musiciens, donne ainsi la parole au piano, particulièrement beau lorsqu'il se fait ouaté, notamment sur "Innocence", valse triste enivrante. Mais au-delà des mélopées mélancoliques jouées par ce magnifique instrument, l'album se déploie également en nappes synthétiques évanescentes, en cordes soyeuses et émouvantes ("December 30th, "Distance"), mais également en sonorités électroniques percutantes ("Here", "Motions") qui viennent déchirer l'espace sonore par le biais d'une collision de mélodies dont l'intensité monte crescendo. L'album est paisible et contemplatif par moments, expressionniste et immersif, souvent cinématographique.

La beauté réside ici dans l'équilibre subtil entre le silence et la volonté de le combler, entre les ombres et les lumières, dans toutes les nuances qui balayent le spectre complet des émotions. Still est une expérience, une aventure, dans laquelle il est somme toute facile de se projeter, tant la force des instruments et des arrangements est évocatrice ("Avalanche"). La mise en son, particulièrement léchée, habille avec chaleur cet ensemble qui, sans ses aspérités, pourrait dégager des ambiances parfois glaciales. L'équilibre entre piano, instruments à cordes et arrangements électro parfaitement équilibré, Ô LAKE se fait riche de ses ambiances variées et de mélodies toujours percutantes, tant dans la violence que dans la tendresse.
Cet album particulièrement inspiré voit Sylvain Texier frapper fort et juste. Un voyage immobile, subtil, dont on ne revient pas indemne. Un très bel album à découvrir.