Au milieu des années 1970 surgit un petit label de disques parisien du nom de Pôle. Son fondateur Paul Putti avait l’intention initiale de publier tous les disque sous le même nom "Pôle", quelques soient les musiciens originels, telle une sorte de grand groupe fictif. Seuls les deux premiers albums du label furent publiés ainsi; le nom "Pôle" apparut également sur quelques autres pochettes d’albums, mais conjointement au nom des auteurs. Le concept "Pôle" tel que Paul Putti l’imaginait n’était en réalité pas un groupe à part entière; les crédits montraient certes la participation de plusieurs musiciens différents, mais ceux-ci n’apparaissaient en général que sur des pistes séparées, ainsi les deux premiers albums "Pôle" ne constituent pas vraiment un travail de groupe.

Pour vendre ses publications, en plus de l’habituel service de vente par correspondance, Paul Putti opta pour un porte-à-porte interposé : il envoya des étudiants écumer les cités pour proposer les albums "Pôle" à la vente pour dix francs, directement auprès des habitants, en prétendant qu’ils faisaient partie du groupe Pôle. À défaut de déontologie, Paul Putti a néanmoins fondé un vivier artistique duquel surgirent quelques noms relativement connus tels Philippe Besombes et Pascal Comelade.

Le premier album, Kotrill, comprend trois pièces: « Villin-Gen » et le morceau-titre sont deux longues plages totalisant plus de trente-cinq minutes, réalisées par un certain Thierry Aubrun ainsi que Paul Putti lui-même, ainsi qu’un court intermède « Osiris », œuvre de Daniel Bodon. Quant au contenu en lui-même, il n’y a malheureusement pas beaucoup plus à en dire. Il s’agit d’expérimentations sur bandes magnétiques, qui pourraient s’apparenter à de la musique concrète, mais sans la rigueur ni l’ambition des œuvres sérieuses du genre, celles de Pierre HENRY ou Bernard PARMEGIANI pour ne citer qu’eux.

Le morceau-titre est un montage de voix, de boucles de caisse-claire, de sirènes et de larsens de toute sorte, le tout bidouillé sans queue ni tête. Une forme de dadaïsme, si on veut. « Osiris » n’est qu’une pénible juxtaposition de bourdonnements plaintifs, de stridences et de résonnances de cymbale, et n’a de qualités que sa brièveté. « Villin-Gen », sous-titré "Messe De Reconnaissance À La Patrie Pour 365 + 12 Jours De Service En Allemagne" et occupant la seconde face, est plus agréable et apaisé, pour une fois non dissonant, même s’il ne s’y passe pas grand-chose. On y trouve presque tout du long une nappe d’orgue statique et très floue, qui tourne autour des quatre mêmes notes, ainsi que quelques bruitages électroniques anodins en arrière plan. Vers la quatrième minute, et jusqu’à la fin, on trouve une pulsation qui ressemble à un battement de cœur très lent. Vers les trois quarts du morceau, les nappes s’effacent derrière un clapotis d’eau, avant une conclusion aux bruitages seuls. C’est d’une certaine manière apaisant à défaut d’être musicalement intéressant.

Franchement, qu’espérait Paul Putti avec une musique pareille ? Il n’y a rien de mémorable dans cet album, qui se retrouve largement dépassé par son statut culte. Non, vraiment, il y a bien mieux à découvrir chez le label Pôle. Il est bien dommage que Thierry Aubrun et Daniel Bodon signent leur seule et unique apparition discographique sur un disque aussi médiocre. Quant à Paul Putti, il réapparaîtra par la suite à quelques reprises sur des disques de variété, mais n’aura pas non plus l’occasion de faire une vraie carrière solo.