La musique, c'est parfois une histoire d'amour. Une flamme fragile entretenue par une passion permanente et irraisonnée. Le livre de Tony LEDUC-GUGNALONS en est une preuve pertinente. A sa sortie en 2017, je croisais les doigts pour que cette somme fasse date, et six ans après c'est bien le cas, et elle le mérite. Alors pourquoi ?

D'abord, parce qu'en langue française et si on excepte les déjà vieux et pourtant toujours excellents Carnets Noirs (2003 et 2006), le panorama embrassé par Afterpunk Highlights est à ma connaissance unique et continue de l'être en 2023. Ensuite, par son approche originale qui a demandé à l'auteur près de six ans de travail. En effet, celui qui cherchera un panorama rêche, sans prise de position sur les musiques sombres pourra indéniablement passer son chemin. L'auteur livre, se livre entièrement. LEDUC-GUGNALONS préfère donc prendre des chemins de traverse pour nous faire (re)découvrir ces univers ténébreux plutôt que d'opter pour de larges et confortables autoroutes.

Il en ressort de cette option, des choix personnels qui seront autant de portes d'entrée stimulantes dans cet univers foisonnant. Afterpunk Highlights, ce sont d'abord et surtout des souvenirs précieux, des émotions vives. Ainsi, que ce soit ceux de l'auteur ou ceux d'activistes des sphères sombres (le chanteur de CORPUS DELICTI, le patron du label INFRASTITION par exemple), ils nous évoquent leur album majeur, leur chef-d’œuvre intime, celui qui les a fait tomber définitivement vers le côté obscur. Est-ce pour autant vain et futile ? Non, car ce n'est aucunement de l'auto-célébration stérile.

Il est même plutôt amusant de constater d'ailleurs que quelle que soit l'époque de l'onde de choc née lors de cette fameuse première écoute, les tourments, les joies et les peines seront quasi identiques pour tous les amoureux de cette scène. L'auteur, avec un plaisir non dissimulé, explose cases et catégories (les pauvres) comme pour souligner d'autant la richesse de ces courants. Par after-punk, il faut entendre ici, post-punk, cold wave, death rock, synth-pop, musique industrielle. Celui des années 70 à nos jours, la décennie 90 étant volontairement mise de côté.

A travers de riches interviews menées par l'auteur, on côtoie entre autres Mark BURGESS des CHAMELEONS, Alain SEGHIR de MARTIN DUPONT, CLAIR OBSCUR, MINIMAL COMPACT. Cette quarantaine d'échanges éclairants, de souvenirs particulièrement émouvants (ceux avec THE SOUND ou FLUE) brosse un portrait d'un monde sombrement romantique et encore vivant malgré la quantité astronomique d'obstacles rencontrés. Afterpunk Highlights, c'est aussi l'histoire d'une passion. Celle d'une quête, d'une recherche, sans aucun doute vaines. Espérer découvrir la partie invisible, à l'œil, de l'iceberg. A ce titre, la discographie sélective clôturant chaque chapitre de chaque grande famille sera une aide précieuse. Encore plus à l'ère rapide d'Internet.

Il est cependant évident qu'une vie ne sera pas suffisante pour appréhender la globalité de ces univers. C'est aussi l’intérêt du livre de Tony LEDUC-GUGNALONS. Guider, faire découvrir au gré des pages et de notre humeur tel ou tel artiste. Approfondir, revenir, être en désaccord parfois (dire de « Love Will Tears Us Apart» de JOY DIVISION que c'est un vomitif mielleux, m'enfin...), vibrer, faire de cette musique une entité qui se bat, se débat et bat, encore et toujours.

Afterpunk Highlights n'a pas en soi de valeur encyclopédique. LEDUC-GUGNALONS offre son simple point de vue, totalement subjectif, certes, mais il est suffisamment original pour que l'on s'y attarde. Il confirme un peu plus avec intelligence le paradoxe de ces musiques émotionnelles. Une ère de glaciation sonore qui n'a jamais autant réchauffé le cœur et l'âme.