Issue d’une riche lignée, fille du légendaire Rufus THOMAS, sœur de Carla et du regretté Marvell, la Soul et le Blues coulent assurément dans les veines de Vaneese THOMAS. Native de Memphis où elle voit le jour en 1952, la benjamine de la famille rentre rapidement dans le bain ; il faut dire que son père Rufus, programmateur sur la WDIA, première radio afro-américaine de diffusion nationale ainsi que toute la famille baigne dans la musique.
Vaneese ne connaitra le succès précoce de sa sœur Carla, sa mère préférant que la petite dernière privilégie avant tout ses études. Mais on ne peut rien contre l’affiliation génétique. En 1978, Vaneese installée à Philadelphie s’associe à Carolyn Mitchell et forme le duo Vaneese & Carolyn. L’expérience ne va pas très loin se résumant à un single édité par Polydor. Au début des eighties, sur les conseils de la chanteuse Debra Henry, Vaneese décide de rejoindre New York où elle décroche un job d’enseignante au collège français de la ville.

Quand elle n’enseigne pas, Vaneese prend le chemin des studios servant de choriste de luxe. Dès le milieu des années 80, elle collabore comme choriste auprès de Melba Moore, Carly SIMON, Joe COCKER, George BENSON, Eric CLAPTON, FOREIGNER, Dr. JOHN pour ne citer que les principaux. Mais sa rencontre en 1983 avec Wayne Warnemake (son futur mari) va s’avérer prépondérante, Vaneese sous contrat avec Geffen Records, enregistre son premier album en 1987, suivi d’un auto-produit en 2001. Entre temps, Vanesse s’est produite sur scène et en studio auprès d’un panel des plus varié : Spyro Gyra, Lloyd PRICE, Céline DION, Gloria Estefan, The BLACK CROWES, STING, Patti Austin et Luciano Pavarotti. En 1997, Les studios Disney lui proposent de chanter dans Hercule, elle devient la voix américaine de Clio, l’une des muses qui jalonne le dessin animé. Bien décidée à garder la main sur la direction artistique, Vaneese fonde son propre label Segue Records en 2003 enregistrant A Woman’s Love, un album salué par la critique internationale.

Enregistré au Royal Studios de Memphis par Lawrence Mitchell (rejeton de Willie, l’un des papes de la Soul de Memphis), ce sixième opus de Vaneese (le 4ème chez Segue) propose dix nouvelles chansons écrites de sa plume et deux reprises. Comme peut le laisser entendre son titre, le disque nous propose une plongée dans la Soul Sudiste avec en parallèle un clin d’œil à Rufus Thomas, décédé en 2001.
Présenté sous la forme d’un élégant digipack en trois volets, ce CD tire sa source du l’univers familial, de la Soul de Memphis, du Gospel et des influences de BB KING, Bobby « Blue » BLAND, Little Milton, comme l’annonce avec humilité la chanteuse.

Malgré un nombre de participants assez élevé, l’album frappe par sa cohérence, la qualité des titres aussi bien au niveau de l’écriture que des mélodies et enfin par l’étoffe de l’orchestration et des arrangements.
D’entrée de jeux, on se retrouve comme happé par le jeu de guitare de Tash Neal (ex London Souls), comme si le groupe nous invitait à un voyage à l’est de la ville, une visite se terminant par une chute dans le Mississippi. Un titre à mi-chemin entre Memphis et Delta Blues. La complicité entre la guitare et les claviers de Robbie Kantor (entendu auprès de Carly SIMON, Aretha FRANKLIN, Lee Ritenour et Michel PETRUCCIANI) sont encore de mise sur "10 X The Man You Are". "Wrap Your Arms Around Me" restitue un décor proche du Delta, le dobro de Tash Neal et la guitare du vétéran Jeff Mironov (ex Roberta FLACK, Chaka KHAN, Diana ROSS) tisse un inquiétant patchwork adouci par le piano de Jon Cobert (ex Al GREEN) et l’orgue de Kandor On reste sur la même longueur d’onde avec le profond "Corner Of Heartache And Pain", si la guitare et la rythmique sont toujours aussi cohérentes, des cuivres apportent du volume tandis qu’un harmonica aussi plaintif que délicat fait son apparition au deux tiers du morceau.
La coloration Blues impulsée par le dobro de Tash Neal est toujours palpable sur "When My Baby Gets Home", tandis que l’orgue et l’apport de trois choristes se fondent dans une ambiance d’église. Changement de tournure avec "Love’Em And Leave’Em Behind" avec une intro épicée de cuivres et et une guitare qui se veut plus funky, une piste qui pourrait provenir du répertoire de Rufus & Chaka Khan. Preuve que Vaneese ne reste pas figée les deux pieds dans le même sabot, "Southern Girl" avec une forte accentuation de cuivres diffuse une atmosphère Jazzy proche de la Nouvelle Orleans. "Lonely Me" reprend toutes les ficelles de la Soul Sudiste avec la présence du fidèle Ernie Poccia à la basse. L’album se termine par un véritable Blues avec "Blue Ridge Blues", Vaneese étant juste accompagnée par la guitare slide de Rob Mathes, présent sur plusieurs disques de la chanteuse.

Deux reprises viennent s’insérer dans ce beau tableau : "Can’t Ever Let You Go", titre gravé à l’origine par son paternel pour la Stax en 1962 s’avère particulièrement vibrant, la chanteuse utilisant la voix de son père pour un duo impromptu mais moelleux à souhait. Un bien bel hommage pour une version qui nous parait plus goûteuse que celle de la géorgienne Nicole Hart. Second duo avec "Wrong Turn" avec Carla THOMAS la sœur et l’aîné Marvell à l’orgue. La communion entre les trois Thomas saute aux oreilles. Seconde et dernière reprise avec "The Old Man Down The Road", l’un des premiers hits de John FOGERTY en solo. A l’instar des paroles de la chanson, une métaphore sur un pacte avec le diable, l’orchestration nous entraine vers un Swamp Blues vitaminé au groove terriblement contagieux. Certains auditeurs feront un rapprochement avec la ligne mélodique de "Run Through The Jungle" de CREEDENCE. Pour les amateurs d’anecdotes Stu Cook porta plainte pour plagiat, l’ancien bassiste en guerre ouverte avec John Fogerty fut débouté par le législateur.

Comme elle l’écrit dans le livret intérieur, Vanesse dédie cet album à sa famille comme l’annonce par ailleurs le titre. Mais à travers ces dix compositions remarquablement écrites et travaillées, c’est un bel et vibrant hommage à la Soul de Memphis, registre longtemps sur le toit du monde, que rend Vaneese Thomas. Pas grand-chose à redire, les arrangements d’orfèvre, la connivence entre les différents belligérants, un répertoire sincère et authentique et un fil conducteur aussi efficace que cohérent dérivant entre Blues et Deep Soul se placent ici comme des atouts de première main.