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Aretha FRANKLIN - Amazing Grace (1972)
Par LE KINGBEE le 3 Avril 2020          Consultée 1781 fois

Certains lecteurs risquent de penser que votre humble serviteur est un petit joueur avec la présentation de ce double album paru en 1972. Depuis, l’industrie du disque dans sa manie d’amasser de la maille a réédité ces deux concerts sous forme d’un quadruple vinyle avec 13 titres supplémentaires.

A une époque ou le confinement rime avec espoir, soyons humble et contentons-nous du premier pressage. A titre informel, il y a quelques années il s’agissait de l’album de Gospel le plus vendu dans le monde. Je ne pense pas que les chiffres aient changé, ni qu’un conçurent soit parvenu à faire fléchir la tendance. Mais allez savoir avec Dieu tout est possible ! Nous sommes maintenant en janvier 1972. Atlantic vient de publier Young Gifted & Black, le 18ème album studio de LADY SOUL qui intègre aussitôt les charts. C’est à se demander si Jésus, le gars qui change l’eau en vin, ne bosse pas pour la firme.

Si vous avez lu les diverses chroniques de disques d’Aretha FRANKLIN, vous vous êtes sans aucun doute rendu compte que sa vie est entrecoupée de tragédies. Là, tout irait pour le meilleur des mondes si King CURTIS, le nouvel arrangeur chef d’orchestre de la chanteuse, n’avait pas pris un coup de lame sur le perron de son immeuble suite à une altercation avec deux junkies en aout 71, Curtis étant pour le coup renvoyé définitivement à Dieu. Lors des funérailles du saxophoniste, Aretha chante "Never Grow Old", les KINGPINS, le groupe de Curtis, entonnent "Soul Serenade" tandis que le Révérend Franklin prononce les éloges funèbres.

King CURTIS sera remplacé par Bernard PURDIE, un excellent batteur arrangeur qui a souvent officié auprès de la pianiste. Si depuis ses débuts, Aretha a chanté du Gospel, du Jazz, du Blues, du R&B, des airs issus de comédies musicales made in Broadway et même des folk songs, sa foi en Dieu est toujours aussi présente. En fait il s’agit pour elle d’un socle immuable et indestructible lui permettant de faire face aux tragédies et aux changements qui s’opèrent dans sa vie privée et artistique.

En décembre 71, FRANKLIN décide qu’il est temps pour elle de rendre grâce à Dieu et également à ses premières influences. Elle n’a pas enregistré de Gospel depuis son adolescence. A presque trente ans, la chanteuse décide qu’il convient de rattraper le temps perdu, elle se met en tête de produire un double album dans une église, album dans lequel le concept serait sa propre célébration. Enregistré les 13 et 14 janvier 1972, à la New Bethel Temple Missionary Baptist Church de Los Angeles, Amazing Grace est dirigé par le Révérend James CLEVELAND, l’un des rois du Gospel, accessoirement ancien directeur musical de la New Bethel Baptist Church où opérait le Révérend CL FRANKLIN. Le révérend CLEVELAND dispose probablement du meilleur curriculum en matière de musique religieuse. Dès seize ans il écrit des chansons pour les ROBERTA MARTIN SINGERS, il enchaîne comme pianiste au sein des CARAVANS puis des MEDITATIONS SINGERS. Au début des sixties, il s’occupe des plus grandes chorales du pays, c’est ainsi qu’on le retrouve à Détroit au sein des VOICES Of TABERNACLE puis dans le New Jersey avec l’ANGELIC CHOIR. Parallèlement à ses rôles de révérend, d’arrangeur et de directeur artistique, il enregistre abondamment pour les labels HOB et Savoy tout en œuvrant au sein de sa propre troupe The CLEVELAND SINGERS. A l’orée des années 70, Cleveland est à la tête d’une nouvelle chorale gigantesque The GOSPEL MUSIC WORKSHOP Of AMERICA MASS CHOIR, une énorme troupe qui travaille sous forme d’atelier où des nombreux ensembles baptistes viennent apprendre les bases du métier et échanger. Oui on en est là ! Si l’Age d’Or du Gospel est derrière nous, il ne faut pas oublier que Révérend c’est un métier ! En 1971, CLEVELAND s’occupe de la SOUTHERN CALIFORNIA COMMUNITY CHOIR et c’est avec cette troupe qu’il épaule Aretha FRANKLIN lors de deux mémorables soirées en ce début d’année 72.

Outre la chorale californienne dirigée par le Révérend, LADY SOUL peut s’appuyer sur une solide brochette d’accompagnateurs : le guitariste Cornell DUPREE, Bernard PURDIE aux fûts, Chuck RAINEY à la basse, l’organiste Kenneth LUPPER et Pancho MORALES, un redoutable joueur de congas. Pour mettre le feu (Non ça c’était notre Johnny National), les Révérends FRANKLIN et BIRDEN sont venus prêter main forte.

Jadis le Gospel s’écrivait Go and Spell, une tournure regroupant les termes Aller et Répandre, car il s’agissait bien de répandre la bonne parole, celle de Dieu. Cette ancienne locution prend tout son sens dans cet album. On retrouve ici différentes facettes du Gospel. Annoncée sobrement par le Révérend BIRDEN sous une flopée d’applaudissements, Aretha débute par "Mary, Don’t You Weep", un spiritual sur lequel la troupe vient relayer la chanteuse. Un procédé ayant pour but de faire monter la sauce. Titre idéal remontant probablement à la Guerre Civile enregistré en 1916 pour la Columbia par le FISK UNIVERSITY MALE QUARTETTE, un titre que toutes les grenouilles de bénitiers américaines connaissent sur le bout des ongles. Elle enchaîne avec un medley regroupant "Precious Lord, Take My Hand" titre de Thomas DORSEY dans lequel elle reprend les psaumes chantés par les chœurs suivi de "You’ve Got A Friend" récente composition de Carole KING figurant dans l’indémodable Tapestry. Chez nous autres Gaulois, on se trémoussera telles des limaces sur l’adaptation "Un jardin dans mon cœur" susurrée par Claude FRANCOIS. Michel DELPECH fera nettement mieux avec "T’as un ami", mais il est vrai qu’on ne pouvait pas tomber plus bas qu’avec le bon Claude.

Les bons ingrédients pour faire du bon Gospel résultent de deux techniques radicales : des changements de rythmes perpétuels de manière à surprendre Dieu ou à défaut l’auditoire et d’autre part posséder assez de charisme afin d’impliquer le public, car n’oublions pas mais en fin de course c’est lui qui va vers le Seigneur et qui accessoirement met quelques menue monnaie dans la corbeille en osier qui passe de main en main. Le but étant bien entendu que le quidam reproduise son geste chaque dimanche.

En fait de changements de tempo, c’est une vraie tornade que nous délivre Aretha avec "Old Landmark", une vieille compo du Révérend BREWER chanté juste après-guerre par Edna GALLMON COOKE et les WARD SINGERS. Là Aretha transforme d’un coup de baguette magique une soupe d’eau tiède en une rasade de Tabasco. Il suffit de vous remémorez le film "The Blues Brothers" et le passage dans lequel James BROWN interprète son sermon pour vous donner une idée du punch de la chanteuse. Une version plus dynamique que celle pourtant explosive de Dionne WARWICK. Si vous avez bien suivi, c’est un morceau lent qui fait suite avec "Give Yourself To Jesus", une compo de Robert FRYSON, membre de VOICES SUPREMES et ancien collaborateur du Révérend CLEVELAND. La chanteuse EVIE mettra plus tard le titre à son répertoire, même chose avec le BIRMINGHAM MASS CHOIR qui en livre des versions hautes en couleurs.

La face B débute avec "How I Got Over", un mid tempo accrédité à Clara WARD en lieu et place du Révérend W.H. BREWSTER. Popularisé par Mahalia JACKSON et Clara WARD, le titre demeure encore une pièce chantée dans le Gospel contemporain. Une version figure dans le film de blaxploitation "Uptown Saturday Night" avec Sidney POITIER et Harry BELAFONTE. Elle reprend "What A Friend We Have In Jesus" issu d’un poème composé au XIXème siècle par l’irlandais Joseph SCRIVEN, comme quoi la foi peut parfois mener à l’autre bout du monde. Ce titre mou du genou a été repris par moult bonnes brebis broutant principalement dans le Country Gospel et le Bluegrass religieux. Aretha délivre une version personnalisée d’"Amazing Grace", un vieux cantique chrétien issu de la Perfide Albion dans lequel les péchés sont absous via la foi des contrevenants envers le Seigneur. Une pratique bien commode qui vaut largement deux ou trois paters. Une version longue dépassant les 10 minutes et qui finit par devenir gonflante, surtout si vous n’avez pas la foi. Mais Aretha avec ses fluctuations de rythmes et un piano enchanteur parvient à mener quelques fidèles à la transe.

Vous aurez le droit à une ode à la gloire de Dieu avec "Precious Memories", mais après tout le gars est le personnage principal du disque. C’est encore une fois avec le système des questions réponses, les chœurs répondant à la chanteuse dans une litanie pleine d’espoir. "Climbing Higher Mountains" permet de faire une petite coupure, le titre ne s’éternise pas et permet à la guitare et à la basse de sortir de leur cachette. Second interlude avec un discours du Révérend CL FRANKLIN à la gloire de Dieu, du public et de son copain James CLEVELAND. Aretha se montre rassurante, pendant presque 9 minutes elle ne cesse de répéter "God Will Take Care Of You", un psaume de Civilla et Walter MARTIN, un couple canadien œuvrant pour Jésus, que le chœur reprend à qui mieux mieux pour la plus grande joie d’un public réconforté, il faut dire que l’allure s’accélère durant les deux dernières minutes, comme quoi la patience est souvent récompensée. Il faut attendre près de vingt secondes pour que les touches de piano fassent leur effet auprès du public dès que celui-ci reconnait le "Wholy Holy", une guimauve de Marvin GAYE figurant dans l’album "What’s Going On", un sucre d’orge de la Motown.

Créée pour une comédie de Broadway, "You’ll Never Walk Alone" a servi d’hymne d’espoir pendant la Seconde Guerre Mondiale, puis a été détourné pour servir de fond sonore lors des remises de diplômes dont les ricains sont si friands. Le titre est ensuite devenu la devise sonore du club de football de Liverpool via la version de GERRY & The PACEMAKERS. Aux States, tout le monde ou presque a enfiler le morceau à son répertoire, du jazzman au soulman en passant par les diverses branches de la Country. Le disque se clôt avec "Never Grow Old", un Gospel de James Cleveland Moore, un pasteur blanc baptiste. Pour Aretha, c’est un retour en arrière puisqu’il s’agit de l’un de ses premiers enregistrements pour le label de Detroit J-V-B. Ce Gospel de forme appalachienne tombé dans la besace d’artistes Country (la CARTER FAMILY, CASH, George JONES, Jim REEVES etc.) est désormais chanté par de nombreux ensembles de Bluegrass de tendance hyper puritaine. Toujours est-il qu’il ne fait guère de doute que Dieu soit tombé parterre en entendant les vocalises de la chanteuse.

Un disque de Gospel essentiel dans l’histoire de la musique religieuse. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de voir Miss FRANKLIN en concert sous les voûtes d’une église, ce document sonore fait figure de superbe témoignage. Si aujourd'hui certains titres nous paraissent trop longs, le ressenti du public présent lors de ces deux show devait être différent.

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- Aretha Franklin (chant, piano)
- Révérend James Cleveland (piano 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10-11-13)
- Cornell Dupree (guitare)
- Chuck Rainey (basse)
- Bernard Purdie (batterie)
- Ken Lupper (orgue)
- Pancho Morales (congas)
- Southern California Community Choir (choeurs)


1. Mary Don't You Weep
2. Precious Lord, Take My Hand/you've Got A Friend
3. Old Landmark
4. Give Yourself To Jesus
5. How I Got Over
6. What A Friend We Have In Jesus
7. Amazing Grace
8. Precious Memories
9. Climbing Higher Mountains
10. Remarks By Reverend C.l. Franklin
11. God Will Take Care Of You
12. Wholy Holy
13. You'll Never Walk Alone
14. Never Grow Old



             



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