Tout juste trois mois après le Massacre de Corpus Christi (El Haconazo), une manif étudiante réprimée par les Faucons, une troupe paramilitaire qui couta la vie à 120 jeunes, la Onda, un mouvement de contreculture organisait les 11 et 12 septembre 1971 Rock Y Ruedas de Avàndaro, un festival en droite ligne avec celui de Woodstock, porté par des idéologies comme la paix, l’écologie, concentrées sur des diverses thématiques comme la musique, l’amour et les drogues libres.
Cet évènement sans précédent dans l’histoire du Mexique se voit retransmis par Radio Juventud avec le soutien de Coca-Cola Company, Polydor Records et Telesistema Mexicano (un groupement de quatre chaînes indépendantes).
Les embellies des Jeux Olympiques de Mexico en 1968 ou de la Coupe du Monde de Football 70 sont bien loin et ne sont que des cache-misère, une sorte d’opium du peuple. Les promesses de renouveau entrevues avec l’élection en 1970 de Luis Echeverría *, président controversé pour ses méthodes illégales et brutales envers les guérillas d’extrême gauche, les mouvements étudiants, ouvriers et paysans paraissent bien loin, se sont évaporées avec une rapidité déconcertante.

C’est dans ce contexte que LA REVOLUCION De EMILIANO ZAPATA pointe le bout de son nez en 1970 à l’instigation de Javier Martin Del Campo. Rejoint par le guitariste Marco Carrasco, Antonio Cruz Carbajal (batterie), Francisco Martinez Ornelosa (basse) et Oscar Rojas Guttierez (chant), le groupe émerge à Guadalajara au nord-ouest du pays. Contrairement aux autres groupes locaux (Los Gibson Boys, Los Rocking Devils, Dug Dug’s, Three Souls In My Mind), la formation se distingue en optant pour un nom hispanique, refusant toute allégeance avec son voisin américain. Le nom d’Emiliano Zapata, l’un des grands acteurs de la Révolution Mexicaine de 1910, grand artisan de la restitution des terres confisquées par l’état en faveur des hacendados et créateur de plusieurs réformes agraires, n’est pas un hasard.
Si LA REVOLUCION DE EMILIANO ZAPATA se crée rapidement une solide réputation dans tout le Jalisco, c’est par le biais d’un concours organisé par une station de radio et gagné de haute lutte que le groupe peut faire ses premiers pas en studios. Le trophée de ce radio crochet leur permet d’enregistrer un premier single publié par Polydor Records. Fin 1970, la Revo, comme l’appellent ses fans, met en boîte "Nasty Sex" couplé à "Todavia Nada". Contre toute attente, la face A fait un carton ; un second single voit presque aussitôt le jour avec "Ciudad Perdida" et "Al Pie De La Montaña", incitant Polydor à prolonger l’aventure avec la production d’un album.

Leur agenda étant surchargé, le quintet ne participe pas au Festival Rock y Ruedas, à deux pas du lac d’Avandaro, à l’instar de La Libre Expresion, combo émanant d’une communauté un peu à l’image d’AMON DÜÛL. Le festival accueille 500 000 personnes en deux jours. Cette absence vivement critiquée par la Onda et diverses associations libertaires est aussi condamnée par diverses mouvances hippies, mouvement né chez le voisin américain mais bien implanté au Mexique.

Curieusement, 52 ans après la sortie de ce disque Universal, Music Group ressort en édition limitée l’album sous la forme d’un vinyle coloré. L’album d’origine se négocie parfois entre 200 et 900 €, une somme astronomique alors que l’original a été maintes fois réédité sous sa forme initiale (Polygram, Atlas, Mercury, Polydor) et en format CD. Mais l’industrie du disque reste toujours très habile à dégainer quand il s’agit d’amasser de la menue monnaie au détriment des auditeurs.

Avec son étrange pochette au fond vert marron du genre papier kraft et le dessin en noir représentant Emiliano Zapata, ce visuel détonne toujours autant. On retrouve cette effigie révolutionnaire sur de nombreux 45-tours, les pochettes des 33-tours proposent parfois un arrière fond de différentes couleurs selon les pressages.
L’album s’ouvre avec l’hallucinant "Nasty Sex", un long Rock Psyché dépassant les 7 minutes, une obsédante synthèse entre CREEDENCE, LOUIE & The LOVERS, HENDRIX et les Dug Dug’s. On se retrouve comme happé par les envolées de guitares de Carlos Valle Ramos et de Javier Martin Del Campo. "Melynda" distille des flambées de guitares similaires proche de l’Acid Rock, un titre à cheval entre IRON BUTTERFLY et QUICKSILVER MESSENGER SERVICE.
Changement de ton avec "Quiero Saber (I Wanna Know)" une ballade psyché portée par un harmonica aussi entêtant que plaintif, un morceau qui pourrait avoir sa place dans le Harvest de Neil YOUNG. La Revo nous plonge dans un maelstrom de Rock Psyché avec "Si Tu Lo Quieres (If You Want It)" avec un déluge de guitare fuzz. Petit détour par la case Instrumentale avec "Ciudad Perdida (Shit City)", un ravage de fuzz et de reverb' portée par une basse énorme enregistrée sur deux pistes et dont le son ne sort parfois que d’un côté des enceintes. Si la batterie d’Antonia Carbajal s’offre deux brefs solos de dingue, elle n’a de cesse de mettre la basse sur orbite.
"Platicas De Un Rey", une sorte de Folk Psy hybride avec une embardée de guitare fuzz, s’avère plus brouillonne et rappelle par instants l’univers de It’s A Beautiful Day, le groupe de David Laflamme, un ancien violoniste membre de l’orchestre symphonique de l’Utah passé par la case LSD. La basse prend encore les commandes de "Todavia Nada", un titre où les guitares furieuses drainent une atmosphère complètement barrée. Enième changement de décor avec "Al Pie De La Montana", une ballade Folk pleine de nostalgie dans laquelle l’intervention d’une flûte déboucherait presque sur une orientation céleste. "Bajo Los Cielos", une dernière ballade Psyché empruntant diverses nuances boucle l’album avec en son milieu un solo plein de rage de guitare fuzz.

Si six des neufs titres proposent une typographie en anglais accolée aux intitulés espagnols, tous les morceaux sont chantés en américain. Porté par "Nasty Sex", une pièce fulgurante de Rock Psyché, cet éponyme se range parmi les meilleures productions d’Acid Rock du début seventies, concurrençant aisément les groupes de San Francisco. En 1972, on retrouve la Revo au générique de Magdalena’s True Vocation, premier film du réalisateur Jaime Humberto Hermosillo. La suite s'avère moins rose pour la Revo, devant la répression politique dont de nombreux groupes sont victimes, deux membres quittent leurs camarades. Au milieu des années 70, face à la persécution gouvernementale, Javier Martín del Campo et ses compagnons optent pour un changement radical de style, s’orientant vers la ballade romantique et la chanson traditionnelle. Titre phare de la Revo, "Nasty Sex" apparaît dans les bandes-son de plusieurs séries télé : Rome avec James Purefoy et Indira Varma, ou le biopic El Cesar avec Armando Hernandez. A partir de 2009, Javier Del Campo, leader charismatique de la Revo, revient à ses premières influences, reformant le groupe avec une nouvelle mouture. Avec Javier Batiz la Revo demeure l’un des groupes emblématiques du Rock made in Mexico.


* Luis Echeverría a été mis en accusation en 2005 pour sa participation au massacre de Tlatelolco (octobre 68) et pour avoir instauré une stratégie de terrorisme d’état. Il a été assigné à résidence entre 2006 et 2009. Echeverría est décédé centenaire en juillet 2022 alors qu’une enquête préliminaire ordonnée par le Procureur Général était sur le point de rendre des conclusions accablantes.