On connaît essentiellement Pete SINFIELD pour avoir été le maître-plumier dans le légendaire KING CRIMSON. Peu savent sa contribution musicale plus concrète au monde du rock progressif, modeste pierre à l’édifice puisqu’elle ne consiste (jusqu’à présent) qu’en un unique album.

Né à Fulham d’une mère activiste bohémienne, le jeune Pete connaît bien vite la vie active en quittant la Ranelagh Grammar School à seize ans pour devenir agent de voyage. Une occupation temporaire qui va l’amener à sillonner l’Europe, s’établir momentanément en Espagne et au Maroc avant un retour en Grande-Bretagne.

Il rencontre le musicien Ian McDONALD en 1967, ce dernier étant impressionné par les dispositions de parolier que semble développer Pete. Les deux hommes commencent ainsi à composer ensemble. Lorsque McDONALD est invité par les frères GILES et un jeune guitariste talentueux nommé Robert FRIPP à les rejoindre pour un nouveau projet musical, il songe à emmener dans ses bagages SINFIELD en même temps que les fragments de chansons sur lesquels ils travaillaient à deux. "I Talk to the Wind" intègre donc naturellement le répertoire élaboré par KING CRIMSON, apparaissant sur son iconique premier disque In the Court of the Crimson King sorti en 1969.

SINFIELD participera à quatre albums du roi pourpre jusqu’en 1971 et la décision prise par FRIPP de le remplacer. Suite à cette éviction, il produit la première réalisation due à ROXY MUSIC, se rapproche des EMERSON, LAKE & PALMER – pour qui il écrira le troisième mouvement de la suite "Karn Evil 9" figurant sur Brain Salad Surgery – et se lance en solo malgré la remarque acerbe dispensée par FRIPP selon laquelle ce dernier estimait que Peter ne possédait aucune expérience musicale et scénique, aucune compétence de compositeur et d’interprète.

Inspiré par Shakespeare, William Blake et Shelley, SINFIELD cultive la poésie romantique anglaise et croque un monde fantastique aux confins du Moyen-Âge, parfois proche des macrocosmes oniriques et merveilleux imaginés par Tolkien (le bucolique "The Piper" aurait pu résonner dans Cul-De-Sac, non loin du trou où Bilbon le Hobbit se plaît à cultiver son oisiveté…).

Niveau musical, l’atmosphère est bien évidemment proche des travaux Crimsoniens, à fortiori de par le personnel présent, faisant partie intégrante soit du groupe ou de sa galaxie environnante : le bassiste Boz BURRELL et le batteur Ian WALLACE interviennent sur "The Night People", le saxophoniste Mel COLLINS, le pianiste Keith TIPPETT ou le bassiste John WETTON sur "The Song of The Sea Goat", le guitariste Greg LAKE prenant même le chant sur le refrain de l’incertain "Still". Toutefois quelques accents plus pop voire boogie marquent une certaine différence. "Will It Be You" ou le bien nommé "Wholefood Boogie" le rapprochent alors des sons déployés par un tout jeune Elton JOHN, deux titres cependant pas forcément inoubliables et détonnant quelque peu par rapport à l’ambiance globale du disque.

Le quatuor principal accompagnant SINFIELD se compose de Richard BRUNTON à la guitare, Phil JUMP aux claviers, Steve DOLAN à la basse et le mystérieux MIN à la batterie. Ainsi épaulé, SINFIELD peut décliner tous les éléments codifiant le genre progressif : progressions harmoniques, nappes de méllotrons et emphase narrative. Une poésie torturée que l’on retrouve sur "Envelopes of Yesterday", et portée par un chant particulièrement délicat sur « The House of Hopes and Dreams », meilleur titre du recueil irradié par une ambiance légèrement dépressive, où les vents font une irruption finale plus que remarquée. L’album se termine dans les lieux où sévit le peuple de la nuit, club jazz flamboyant et enfumé faisant la part belle aux vents : cor anglais (Robin MILLER), trompettes (Greg BOWEN et Stan RODERICK), trombone (Chris PYNE) et saxophone (Don HONEYWILL)…

La réédition réalisée en 2009 par Esoteric Recordings inclut un second disque comprenant deux titres bonus inédits ("Hanging Fire" et "Can You Forgive a Fool ?") et des mixes initiaux des chansons figurant sur l’album final.

Still ou un recueil enchanteur charmant, dignement représenté par Grand Ami, une œuvre encadrée de rose et peinte par Sulamith Wulfing, artiste allemande connue pour ses travaux éthérés tout droit sortis de contes de fées et mettant en scène nains, chevaliers et dragons.