L’industrie musicale est parfois une belle garce. C’est peut-être comme ça qu’on pourrait entrer en matière pour parler du parcours de l’anglaise Rachel Keen, plus connue sous son nom de scène RAYE. Elle signe avec la maison de disque Polydor Record alors qu’elle n’a que 17 ans après avoir publié elle-même un premier E.P Welcome to the Winter sur Soundcloud et se met au travail : la jeune autrice-compositrice-interprète produit une tonne de chansons et sort son deuxième E.P Second en 2016. Malheureusement, le rêve a un goût amer pour ses chansons qui seront destinées à d’autres artistes comme Little Mix, John Legend ou encore BEYONCE. Miss RAYE ne chôme pas et collabore à des succès commerciaux avec d’autres artistes et sort 4 E.P supplémentaires, mais toujours pas de sortie pour la chanteuse qui dira même que son album prend la poussière. Bref, RAYE se fait arnaquer par l’industrie musicale, comme beaucoup d’autres artistes. Durant l’été 2021, elle met un terme à son contrat et devient enfin indépendante avec la sortie de son single "Hard Out Here".

En octobre 2022, RAYE sort son single "Escapism" qui explose grâce à TikTok et devient un hit instantané. Elle finit par sortir son premier album studio My 21st Century Blues en ce début d’année et est reconnue pour son écriture et un style musical varié. Avec cet album, RAYE nous présente un son principalement pop-rnb avec des éléments électro et blues pour accompagner ses mélodies contagieuses et son timbre unique.

On entre direct dans le vif du sujet avec une invitation au blues club pour préparer l’ambiance du disque. Tenez-vous bien à votre siège car on va passer de chansons presque house comme "Black Mascara", rnb comme la sensuelle "Five Stars Hotel" ou gospel telle la ballade "Buss It Down". Son approche flexible des styles, mariée à un talent lyrique évident, contribue à créer un style vibrant et bien personnel.

RAYE n’a pas peur de parler de sujets lourds comme le montrent les titres "Body Dysmorphia" ou "Ice Cream Man", où elle explique avec honnêteté la raison de son silence après les agressions dont elle a été victime, et se fait plus expérimentale avec le beat de "Environmental Anxiety", chanson dont on peut relever dans tous les cas l’exploit accompli par des paroles coups de poings. On retrouve son timbre émouvant sur des titres comme "Mary Jane", une atmosphère blues où elle parle de dépendance, "The Thrill Is Gone" avec ses instruments live et ses riff à tout va ; ou encore sur l’audacieux "Oscar Winning Tears" qui démontre sa superbe diction et cette voix phénoménale. Elle continue littéralement sur "Flip A Switch" en donnant de la cadence sur un beat hiphop où elle rappe sa défiance. Sur "Escapism", la chanson aux 400 millions d’écoutes (rien que ça), on aurait presque l’impression de se prendre un bus en pleine face, le morceau est bien construit et se développe pour confier la sensation de vide qui vient avec la dépression en utilisant une structure de rimes et une prononciation redoutables. L’excellent single "Hard Out Here", hyper fourni en instruments, est sans hésitation un de mes titres préférés de l’album.

Bref, My 21st Century Blues confirme que RAYE a toutes les qualités pour devenir une grande artiste dans cette industrie musicale pas toujours facile à naviguer. Elle se fait remarquer par ses rythmes, sa cadence, l’habileté de ses notes, l’intelligence de son écriture - d’un autre niveau - et par sa personnalité combative. Cet album est un coup de blues, mais surtout un coup réussi.