Avec un tel sobriquet placé juste avant son patronyme, pas la peine de se demander ce à quoi on va être confronté ici. Du Blues pur et dur !

Clarence Otis Davis a vu le jour en 1945 à Eutaw, bourgade au cœur de la Black Belt à 200 bornes au Nord-Ouest de Montgomery, capitale de l’Alabama mondialement connue pour l’épisode Rosa Parks. Cette Black Belt (ceinture noire) se rapporte non pas à la population afro-américaine locale largement majoritaire, mais à la couleur de la terre locale. Aujourd’hui cette ancienne terre du coton est l’un des comtés les plus pauvres des Etats-Unis. Une région gangrénée par la Ségrégation.

Issu d’une famille de douze enfants, c’est dans un décor rural que le jeune Clarence s’intéresse à la musique en écoutant les programmes de la WRAG, une radio basée à Carrolton, petit bourg situé au nord d’Eutaw. De fil en aiguille, Clarence se lance dans l’apprentissage de la guitare à sept ans, un oncle lui offrant une guitare qu’un cousin a délaissée. Rapidement le gamin s’améliore au contact de Hoochie Richardson, un guitariste local adepte de Country Blues.

A l’image de nombreux jeunes musiciens en herbe, Clarence fait ses gammes dans sa paroisse, accompagnant la chorale à la guitare. A quinze ans, il se produit lors des kermesses paroissiales, des soirées pique-nique ou fish fry avant d’intégrer son premier groupe Little White & The Upsetters. A 18 ans, il rejoint l’une de ses sœurs à Tuscaloosa, jouant au sein de plusieurs formations locales Danny Green & The Red Lighters, T.J. & The Diplomats, The Soul Merchant Band. Après s’être mis à la guitare électrique, Clarence s’installe à Cleveland au milieu des sixties où il restera pendant trois ans jouant entre autres avec les Ohio Players avant de regagner sa région natale, vivant à un jet de pierre de l’ancienne ferme parentale.

Retraité en 1993, Clarence "Bluesman" Davis se produit essentiellement en solo dans le circuit des universités et des maisons de la jeunesse. Devenu attitré de petits festivals locaux, le guitariste reste également connu pour avoir été l’un des instigateurs du Black Belt Roots Blues Festival créé il y a plus de trois décennies. En 2009, le vétéran a enregistré Gosa Quarter Blues une première autoproduction évoquant la plantation où il vivait enfant, suivi de Foot Stompin’ Delta Blues enregistré en compagnie de Shar-Baby ; un troisième recueil Before You Accuse Me gravé avec l’harmoniciste Jock Webb lui permettra d’accéder à une plus grande notoriété

Clarence s’est produit en première partie de Bobby RUSH, Willie KING, Kenny NEAL, T-Model Ford, Sam Lay, Honey Boy Edwards, Cedric Burnside ou Lightnin’ Malcolm pour ne citer que les principaux mais son plus grand fait d’arme reste d’avoir côtoyé son voisin et ami Willie KING à maintes reprises lors du Freedom Creek Festival.
Clarence Davis a remporté en 2014 et 2015 deux fois de suite The Battle of the Blues Bands (BOBB), un concours organisé par la Gulf Coast Blues Society, ce qui lui a permis de participer à l’International Blues Challenge 2016 à Memphis atteignant les demies-finales.

Cette nouvelle production éditée par le label Music Maker devrait permettre à Clarence "Bluesman" Davis de poser son nom plus durablement sur la carte géographique du Blues. La pochette est un clin d’œil au quotidien du guitariste. Lorsqu’il ne manie pas son instrument, Clarence continue à entretenir son lopin de terre, adepte d’une culture bio sans poisons, Clarence fait pousser ses tomates, ses patates mais s’est spécialisé dans la culture de cacahuètes. On ne voit pas le cabanon derrière le tracteur où sont accrochées cinq guitares vintages, ni le fumoir où il stocke son jambon, mais on peut aisément se les imaginer.

Shake It Baby lui permet de retrouver l’harmoniciste Jock Webb, garagiste de profession et ancien équipier de Birmingham George Conner, Willie KING, Rufus Harris Jr., Hubert Sumlin. Le guitariste lance l’album sur de bons rails avec "Not Your Fool", issu de "I’m No Fool, I Know The Rule" de Smokey Wilson et gros pompage du hit "If You Love Me (Like You Say)" de Little Johnny Taylor. Si on se laisse facilement prendre par le rythme et la mélodie accrocheuse, la guitare sans concession surprend par une interprétation terriblement terrienne. Changement de tournure avec "Gotta Rock It", une pièce Rockin’Blues primitive qui remémore l’esprit de Joe Hill Louis. "Goosa Farm" une sombre évocation de la plantation où vivait Clarence durant son enfance reste typique du Delta Blues et se rapproche de l’univers de Fred McDowell.

Les riffs de guitares répétitifs plongent dans un océan ténébreux et primaire sur "Hoochie Man", un titre en droite ligne avec le louisianais Clarence EDWARDS. "Shake It Baby" qui donne son nom à l’album s’oriente vers une mixture combinant un Boogie style John Lee HOOKER et un Rockab à la Hasil Adkins, autre vénérable homme-orchestre à l’image de Joe Hill Louis. "Born In The Country" * nous ramène vers des fondations caractéristiques du Mississippi Blues, le rythme lancinant nous ramenant vers Sonny Terry/Brownie McGhee autre duo célèbre. En solo, Davis nous délivre avec "Facebook Blues" un vrai Hill Country Blues s’apparentant aux répertoires de R.L. Burnside et Junior KIMBROUGH, une critique sans amertume du quotidien et des dérives des réseaux sociaux. L’instrumental "Just Gettin’ Good" vient agrémenter le tableau, le jeu de guitare tout en mode shuffle plaçant l’harmonica sur orbite.

Clarence Davis rend hommage à trois légendes du Blues avec trois standards. Il reprend dans une version courte et respectueuse (2 minutes) le "Shame, Shame Shame" de Jimmy REED, titre servant de pont entre Swamp et Chicago Blues. "Good Morning Little Schoolgirl", un classique de Sonny Boy Williamson, se retrouve interprété à la sauce des grands duos guitare/harmonica d’antan. Un titre qui se conforme respectueusement à l’original à l’opposé de la version tribale d’AUTOMATIC CITY et du Garage Blues des YARDBIRDS. Le guitariste rend hommage à son voisin texan Lightnin’ Hopkins avec "Mojo Hand", titre au jeu de guitare brute de décoffrage qui marche encore une fois sur les traces de Clarence EDWARDS. Une version sobre et pourtant fortement obsédante. Le disque se conclut sur un surprenant feu d’artifice avec "Shake’ Em On Down", standard de Bukka White popularisé par McDowell lors du Revival Blues, joué ici en Live avec la présence d’un accordéoniste et d’une rythmique.

Cet opus édité par le label Music Maker, dont la fondation recueille des fonds à destination de bluesmen dans le besoin, propose un duo à l’ancienne à l’image de John Cephas & Phil Wiggins ou des célèbres Sonny Terry/ Brownie McGhee. C’est principalement à une dualité harmonica / guitare à laquelle on est ici confronté. Le chant et la guitare oscillent entre Fred McDowell, Clarence Edwards et Jessie Fuller, le répertoire sans concession tient en haleine par le biais d’un tempo vitaminé d’où s’échappent un soupçon de Down home blues. Si Clarence Davis envoie deux ou trois pains (il a 78 ans), le contenu nous parait largement plus authentique et sincère par rapport à ce que certaines boites de prod tentent de nous refourguer à grands coups de slogans publicitaires.

Note réelle 3,5.


* Titre homonyme à celui de Mary Koth Lutton.