The SPERM (alias SPERM) fut formé en 1967 à Helsinki à l’instigation d’un duo insolite : le compositeur curieux d’expérimentations Pekka AIRAKSINEN et l’auteur Mattijuhani KOPONEN.

Malgré sa longévité plutôt courte, le groupe a imprimé une trace indélébile dans l’histoire de la musique finlandaise grâce à son propos avant-gardiste sans compromis à la fois musical et scénique. En effet, leurs spectacles comprenaient projections de films pornographiques et performances scandaleuses, menant à la censure et à une surveillance policière accrue, leurs membres faisant même de la prison pour certains à cause de leur engagement artistique : KOPONEN se produisant parfois entièrement nu ou mimant des relations sexuelles, le responsable visuel Markus HEIKKERÖ exposant des peintures surréalistes mettant en scène des pénis. Ce dernier pensait ainsi que le collectif était le seul vrai groupe underground de Finlande, un groupe en dehors de la société.

Après un premier E.P sorti en 1968, The SPERM réalisa son premier album studio complet en 1970. Le critique Ilpo Saunio était convaincu que l’album pouvait obtenir une possible mise en lumière sur Lista, programme radio dévolu aux auditeurs. En effet, un ami du collectif se rappelle que ce dernier avait fourni un effort afin d’inclure les chansons les plus accessibles au disque, même si on imagine avec difficulté une de ces chansons sur les ondes tant le terme pièces semble plus adapté aux compositions anarchichroniques élaborées par The SPERM.

Ssh ! est une collection de quatre titres enregistrés au cottage d’été d’AIRAKSINEN, bien qu’aucun ne fut originellement prévu pour intégrer le disque. Un album qui aurait pu devenir un jalon important de l’avant-garde dans les mondes du rock underground et de la musique électronique s’il avait obtenu une meilleure diffusion en Europe, mais les difficultés postales et la négligence du compositeur Pekka AIRAKSINEN lui ont fait prendre un autre chemin plus cahoteux, bien que le temps l’ait depuis largement réhabilité.

"Heinäsirkat I" est un concerto de guitare d’un quart d’heure, construit via des méthodes simples : pas d’overdub, une simple Gibson E-335, un écho élaboré grâce au magnétophone ainsi que des cordes de basse utilisées pour créer le grondement qu’on peut entendre sur la pièce et inspirant sans doute l’intitulé du recueil. Les sauterelles référencées textuellement dans le titre peuvent être entendues dès la dixième minute, un effet trouvé accidentellement et matérialisant concrètement la tension latente devenant à ce moment précis franchement inquiétante. Sans doute un acte manqué inconscient, le son rappela à AIRAKSINEN une terreur éprouvée dans sa jeunesse liée à la montée d’un monte-charge, confirmant que tous ces premiers travaux étaient inspirés par l’effroi comme il le confirma dans une interview donnée en 2009. Cette pièce doit beaucoup au minimalisme prôné par Terry RILEY et à "Loop" de John CALE, et que le compositeur et critique Erkki SALMENHAARA apprécie particulièrement, la nommant musique de méditation et lui suggérant une vision biblique du fléau égyptien. De l’ambient music avant l’heure, une progression dramatique empreinte de mystère.

Vladimir Nikke NIKAMO, guitariste du groupe de rock progressif finlandais WIGWAM, intervient sur "Korvapoliklinikka Hesperia", ajoutant au piano préparé par AIRAKSINEN avec un micro de guitare vibrant sur les cordes des samples tirés de signaux radio, soupçon de vie adjoint à un paysage plutôt aride. Les deux mots composant le titre peuvent être entendus sur la réalisation finale. Une pièce statique, mise en musique du transport du courant dans un fil électrique.

NIKAMO accompagne également AIRAKSINEN à la guitare sur les vingt minutes épiques égrainant "Dodekafoninen Talvisota", titre faisant référence à la mitraillette, manière dont les instruments sont maltraités. Des images d’infanterie ainsi que des champs de bataille situés à Karjala viennent en tête, surtout lorsque le guitariste, après le tabla, empoigne le kantele, instrument à cordes pincées traditionnel finlandais. Déjà testée lors d’un tour en 1970, la guitare-mitraillette invoque chaos et paix dans le même instant, annonçant également les symphonies bruitistes plus tard réalisées par les orchestres du compositeur Glenn BRANCA.

"Jazz Jazz", comme son nom l’indique, est une éruption volcanique free jazz, dont l’un des joueurs Ilkka Emu LEHTINEN empoignait un instrument à vent pour la première fois de sa vie !

La jaquette ornant Ssh ! fut créée par Jorma Auersalo en adaptant l’imagerie utilisée pour la marque de tabac finlandaise Saimaa, une idée proposée par NIKAMO ou par l’artiste d’avant-garde Olli Lyytikäinen, la paternité étant contestée et quelque peu confuse. Cette musique expérimentale combinée avec une imagerie naturelle typiquement finlandaise entre en résonance sans doute de manière involontaire avec le nationalisme romantique et le théâtre expérimental du Kuoleman Puutarha (Le Jardin de la Mort), opéra réalisé le même printemps.

L’album fut pressé à 500 copies par AIRAKSINEN sur son propre label O-Records dont le nouveau logo fut conçu par NIKAMO et concrétisé par Auersalo. Le O représentait un œuf et le point suivant le jaune ; l’idée venait d’une anecdote de Salvador Dali dans laquelle il racontait avoir fait éclore un œuf sur une plage méditerranéenne. Le label produisit (ou était censé produire) d’autres projets comme SAMSA TRIO, MYTOLOGINEN DUO ou OMAR WILLIAMS EXPERIENCE en plus des travaux réalisés en solo par AIRAKSINEN.

Comme prévu, Ssh ! ne se vendit pas, mais obtint toutefois plus d’attention que leur premier E.P. Il devint légendaire après coup, notamment en figurant dans la fameuse liste établie par le groupe noise NURSE WITH WOUND et ensemençant tout un tas d’autres jeunes projets ambitieux.