Le 26 septembre 2000 s’éteignait à Rio De Janeiro, à l’âge de 63 ans, Baden Powell de Aquino, dit Baden Powell. Véritable génie de la guitare, célébré de son vivant mais toujours aussi influent plus de 20 ans après son décès, celui que son père avait prénommé par amour du fondateur du scoutisme a laissé une trace indélébile bien au-delà la musique brésilienne. Il réussit en effet au long de sa carrière l’exploit de jeter des ponts entre musique classique, musique brésilienne traditionnelle, Bossa-Nova, Samba et Jazz. Au fil de ses innombrables rencontres on peut citer parmi les plus fameuses celle avec le poète Vinicius De Moraes avec lequel il réalisa les fabuleuses Afro-Sambas, mais aussi, plus proche géographiquement de nous (il a d’ailleurs beaucoup vécu en Europe), celle avec Claude Nougaro qui reprit son "Berimbau" pour en faire un de ses grands succès, "Bidonville".

Au sein de la pléthorique et parfois confuse discographie de Baden POWELL, on trouve bon nombre d’enregistrements studio, mais également pléthore de captations Live, celles où finalement son talent s’exprimait le mieux tant son art explosait littéralement dans l’euphorie ou la magie d’un soir, et lorsque le contexte et le public lui convenaient et le portaient vers des sommets de virtuosité et de musicalité (dans le cas inverse, j’en ai fait l’expérience, il pouvait au contraire se fermer comme une huitre).

Ce concert que j’ai choisi pour cette première chronique me semble une excellente introduction à la musique du natif de Varre-Sai car il présente un bon équilibre entre ses propres compositions et les reprises de grands standards de la musique brésilienne, et entre des interprétations en solo et d’autres accompagnées de percussions et parfois d’une basse. La dimension vocale, très présente dans beaucoup de ses disques, est cependant pour cette fois cantonnée à un seul des 14 tires de l’opus (pour 1H15’ de musique). Et surtout, cet enregistrement rend grâce au génie d’un musicien alors au summum de ses aptitudes, capable de donner autant de relief à chacune des pièces abordées : ses variations d’intensité, brusques accélérations ou longs passages contemplatifs, sa capacité à suggérer avec sa seule guitare les instruments traditionnels brésiliens (dont le fameux Berimbau) comme la présence d’un petit orchestre à ses côtés ont souvent rendu ses prestations uniques et incroyablement vivantes.

Commençons par les titres joués en solo : "Valsa de Euridice", musique composée par le légendaire Antonio Carlos Jobim, est une mélodie sublime à laquelle Baden Powell donne des accents tantôt classiques tantôt traditionnels du meilleur effet. "Preludio E minor" nous permet de profiter de sa prodigieuse technique classique qui irradie un morceau qui révèle progressivement toutes ses splendeurs harmoniques et rythmiques. "Asa Branca", chanson de 1947 composée par Luis Gonzaga et Humberto Teixeira, permet au guitariste brésilien, passée l’exposition des mélodies principales de la chanson, de se lancer dans une seconde partie du titre dans une décoiffante accélération du tempo dont il a le secret, le tout avec une propreté sidérante. Sur "A Lenda Do Abaeté", chanson de Dorival Caymmi, Baden Powell renouvelle l’exploit grâce à un incroyable travail sur les notes graves, et transcende littéralement ce superbe titre. "Berceuse" est une sublime composition du brésilien, interprétée cette fois sur un mode proche du classique, alors que "Marcha Ecosesa" est davantage une fantaisie et un tour de force de fin de concert au sein de laquelle l’artiste suggère avec sa seule guitare la présence à ses côtés d’un véritable petit orchestre écossais. Brillant !

Sur les autres titres de l’album, Baden Powell est généralement accompagné de percussions, voire parfois d’une contrebasse. "Se Todos Fossem Egais A Voce" de Jobim est un nouveau classique au romantisme parfaitement restitué par la sobre interprétation du guitariste. En revanche, "Samba Triste", une des grandes pièces de Baden Powell, nous délivre ses splendides harmonies sur un rythme frénétique et très Jazz appuyé par les percussions et la basse qui nous offrent même une rare improvisation à la guitare. Concernant "Petite Valse", "Imagens", "Pescador", et "Valsa N°1", les mots me manquent pour détailler toutes les merveilles et les inventions de ces remarquables compositions, formidablement interprétées par un musicien en état de grâce et longuement salué par un public aux anges. "Variacao Sobre Canto de Ossanha" évoque pour sa part les Afro Sambas et donne l'occasion à Baden Powell de présenter les musiciens, et "Coisa N°1" est le seul titre qui nous permet de profiter de la voix grave, si particulière et touchante, du virtuose brésilien.

Assez de paroles néanmoins : ruez-vous sur cet enregistrement (ou tout autre de votre convenance) qui me semble constituer une excellente introduction à l’œuvre de cet inoubliable artiste ; il contentera tant les amateurs de musique brésilienne ou de fusion (je n’ose parler de World Music) que ceux qui sont friands d’exploits guitaristiques. Pour ma part, je considère Baden Powell comme un des grands génies musicaux du 20ème siècle, et j’aurai plaisir à y revenir lors de prochaines chroniques.