Originaire de Caroline du Nord, Lee FIELDS débute sa carrière à la fin des sixties, collaborant entre autres avec KOOL & The GANG et O.V. WRIGHT. Longtemps influencé par James BROWN, les journalistes américains lui attribuèrent d’ailleurs le sobriquet de Little J.B.

FIELD demeure le propriétaire d’une luxuriante discographie jalonnée par des productions hautes en couleurs pas forcément mises en évidence à cause d'un manque de promotion d’envergure. Le chanteur est passé dans les mailles de nombreux labels (Ace, Avanti, Desco, Soul Fire) avant de fonder le sien, le label BDA (Better Days Ahead - dont le nom est traduisible par 'Jours meilleurs à venir' - ce qui souligne le positivisme du bonhomme). Après avoir enregistré huit albums faisant office d’autoproductions, FIELDS allait rebondir en 2009 en intégrant l’écurie Truth & Soul, label connu pour avoir édité Aloe BLACC, El Michels Affairs ou Ghetto Brothers. Le désormais septuagénaire enchaîne avec succès chez Big Crown Records, pétillante maison de disques dirigée par Leon Michels et Danny Akalepse.

Mais, bien avant cela, à l’orée du nouveau millénaire, Lee FIELDS avait enregistré trois singles publiés par la maison Daptone Records sous la houlette de Gabe Roth. Il travailla ensuite avec le D.J français Martin Solveig, mettant sa carrière entre parenthèses pendant cinq ans.

Mais il arrive parfois que les planètes parviennent à s’aligner une seconde fois. En 2022, le chanteur ne parvient pas à s’entendre avec Leon Michels sur le renouvèlement de son contrat. D’un autre côté, Daptone Records plus ou moins en berne depuis le décès de ses deux plus gros porte-drapeaux (Sharon JONES et Charles BRADLEY), allait resurgir dans la vie du vétéran. Les premiers contacts entre Gabe Roth (alias Bosco Mann) et FIELDS remontaient à 1997. Encore étudiants, Roth et Phillip Lehmann s’étaient mis en tête d’enregistrer le chanteur suite à la découverte du single "She’s A Lovemaker" édité en 1971 par LaShawn Records, un micro label de Portsmouth en Virginie.

Trois ans après sa dernière galette enregistrée avec The Expressions, FIELDS marque son grand retour dans le monde de la Soul. Enregistré à Riverside (Californie) dans la nouvelle antre du studio de Daptone, Sentimental Fool peut être catalogué comme l’album des retrouvailles entre le chanteur, le producteur (également présent à la basse sur 5 pistes) et les sidemen dont certains sont issus des DAP-KINGS, groupe qui seconda Amy WINEHOUSE et Sharon JONES. Si la prise de son issue des consoles de ce nouveau studio aux hauts plafonds s’avère bien supérieure du point de vue de l’acoustique, occasionnant une ambiance plus crépusculaire, la production bien léchée nous renvoie à un décor vintage, à l’image de certaines productions de Sharon JONES, Charles BRADLEY, Amy WINEHOUSE ou du James Hunter Six (alias Howlin’ WOLF).

Idem au niveau de l’orchestration, on retrouve ici une complicité, une cohésion et une cohérence évidentes, la plupart des musiciens s’étant croisés à maintes reprises. Gabe Roth a convié d’anciens complices ayant fait leurs armes au sein du label. C’est ainsi qu’on retrouve l’organiste Jimmy Hill (ex-Wilson PICKETT, Sharon JONES, The Intruders), le pianiste organiste Victor Axelrod (ex-Amy WINEHOUSE, Charles BRADLEY, ADELE), le guitariste Thomas Brenneck (ex-Amy WINEHOUSE, Aloe BLACC, Rufus WAINWRIGHT), le batteur Brian Wolfe (ex-David BYRNE, Sharon JONES), les saxophonistes Neal Sugarman (ex-Al GREEN, Robbie WILLIAMS, Sara BAREILLES) et Ian Hendrickson-Smith (ex-Michael BUBLE, Al GREEN, Ed SHEERAN), le trompettiste Dave Guy (ex-Amy WINEHOUSE, Norah JONES, Pharrell WILLIAMS). A cette solide troupe, plusieurs anciens équipiers se greffent parfois sur une ou deux pistes, à l’image du batteur Homer Steinweiss (ex-Sharon JONES, Naomi SHELTON, Miley CYRUS), du vibraphoniste Andrew Kingslow (ex-James Hunter, John Legend) ou l’harmoniciste Stuart Bogie (ex-Taylor SWIFT, Curtis HARDING).

D’entrée de jeu, la section des cuivres de "Forever" cristallise l’attention par ses envolées pleines de douceurs sucrées, tandis que le chant évoque William Bell ou Donny HATHAWAY. Si la plupart des chansons proviennent de la plume et de l’imagination de Gabe Roth, elles ont toutes reçu l’aval du chanteur et toutes ou presque parlent d’amour ou de notre quotidien, deux thèmes bien dans la tradition de la Soul de la fin sixties. Si toutes ces pistes forment une trame mélodique solide, équilibrée et harmonieuse, avec des textes se rapportant principalement à l’amour, "Two Jobs" se détache quelque peu du lot en soulignant les difficultés financières dont souffrent de nombreux Américains obligés d’accumuler deux boulots. "What Did I Do" à la rythmique hyper groovy et à l'orgue d’église pourrait provenir d’un disque d’Otis REDDING. Même impression avec "Ordinary Lives" dont les arrangements et la symbiose entre les différents instruments sont chirurgicaux. "Sentimental Fool", chanson donnant son nom à l’album, est un modèle de ballade Soul Old Time, tous les instruments n’ayant de cesse de mettre le chant sur un piédestal.

L’orgue de Victor Axelrod transforme la guimauve "Extraordinary Man" en une petite pépite de chant d’église qu’on écoute aussi religieusement que si on parcourait un passage du Petit Prince de Saint Exupéry. Là, le fantôme de Donny HATHAWAY plane encore au-dessus de nos têtes. Le chant de "I Should Have Let You Be" se fait plus vindicatif, tandis que l’orchestration lorgne sur la flamboyance des SOUL INVESTIGATORS de Nicole WILLIS. Autre bon moment, "The Door" rappelle le répertoire de son ami Charles BRADLEY. Avec ses chœurs, un vibraphone et ses arrangements de cordes, "Save Your Tears For Someone New".

Au niveau des tempos, deux plages font office de grains de sables dans le sens où elles viennent légèrement booster l’ensemble. C’est ainsi que "Without A Heart "se rapproche plus de la frénésie de la regrettée Sharon Jones. La différence est tout juste perceptible, comme infime, mais suffit subtilement à casser la routine. Malgré la brève intro de piano, "Your Face Before My Eyes" creuse les sillons d’une Soul se transformant en un Funk aussi soyeux que douillet.

Ce 19ème opus remet totalement en selle le septuagénaire dont le répertoire au sein de son ancien groupe (The Expressions) avait tendance à tourner en rond, la faute bien souvent à une production s’érodant au fil des années, malgré l’adjonction de nouveaux artifices servant plus de cache-misères que d’agents novateurs. Si It Rains Love sonnait comme une fin de cycle, Sentimental Fool bénéficie d’une production bien léchée, d’une orchestration hors-pair et d’un accompagnement aux petits oignons. Si l’aventure entre le chanteur et son producteur s’était avérée aussi brève que lointaine, le répertoire proposé ici renoue avec la sonorité vintage du label Daptone. Aucun déchet sur ces douze faces qui ne s’éternisent à aucun moment (durée 38 minutes). S’il avait fait preuve d’un peu plus d’audace avec un ou deux morceaux plus aventureux tant au niveau du peps que des paroles permettant de casser des tempos trop linéaires, cet opus aurait probablement mérité la note maximale. Ne faisons pas la fine bouche, le chant parfois proche des incantations d’un chant d’église touche souvent le centre de la cible.