AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

La filmographie de Jean-Pierre Mocky, depuis sa reprise en 1982 et jusqu'en 87, est plutôt 'exemplaire' avec une suite ininterrompue de ce qu'il peut offrir de mieux. Après À Mort l'Arbitre (1983), on a deux films toujours un peu orientés policier/aventure et rythmés entre noirceur, folie, érotisme etc, cocktails servis à des doses bien françaises en roue libre. D'abord, Le Pactole (1985) avec Richard Bohringer, Patrick Sébastien (excellent acteur, il faut le dire), Marie Laforêt (géniale en 'fille facile' vieillissante et artiste), Pauline et Bernadette Laffont. Ensuite, La Machine à Découdre (1986), où Mocky lui-même joue un ancien Médecin Sans Frontière traumatisé qui tue de sang-froid/prend des gens riches en otages sur la Côte d'Azur avec pour lubie de construire un hôpital pour les blessés de guerre. Enfin, avec Le Miraculé (premier de ses trois films pour l'année 1987), il délaisse un peu le polar pour se moquer ouvertement du pèlerinage de Lourdes, où on lui a refusé le droit de tourner, ce qu'il n'a pas toujours respecté ! Il en profite pour rappeler la fine équipe Jean Poiret/Michel Serrault (dernier film où on peut les voir ensemble, sachant qu'à la base ce devait être Michel Blanc et Coluche, mort entretemps), avec en plus Jeanne Moreau, Sylvie Joly, Roland Blanche et Sophie Moyse, ancienne script-girl.

Pour Agent Trouble, il retrouve le polar et une nouvelle sacrée équipe constituée de Tom Novembre (premier de ses rôles pour Mocky et déjà brillant de classe malicieuse voire adolescente), Catherine Deneuve (superbe malgré la coupe caniche), Richard Bohringer (en inspecteur ripoux cette fois), Kristin Scott-Thomas, Pierre Arditi, Dominique Lavanant, encore Sylvie Joly et Sophie Moyse, sans compter les 'gueules' habituelles (Zardi, Abeillé, Mayor etc). Film qui reprend les éléments chers à Mocky avec moins d'érotisme d'abord : tout juste si Scott-Thomas entrouvre son peignoir sous lequel elle ne porte rien (de quoi nuancer par rapport à La Machine à Découdre et les plans sur Patricia Barzyk, ancienne miss France qui retournera quand même avec Mocky !). Un fond politique tourné au vitriol, une touche hivernale-montagnarde très bienvenue, même si tout évolue en deux parties distinctes et qu'on ne voit rien venir. Bref, un de ses meilleurs films à ne pas oublier.

Gabriel YARED n'est pas un jeune premier dans le métier. Ancien élève d'Henri DUTILLEUX (compositeur contemporain des plus éminents), il accompagne d'abord aux claviers et écrit les arrangements d'artistes de variété, Johnny HALLYDAY, Françoise HARDY etc. Jean-Luc GODARD lui confie la musique de Sauve Qui Peut (la Vie) en 1980 et il enchaîne tout de suite avec Malevil (1981), film d'anticipation de Christian De Chalonge. Depuis, beaucoup de BO's mais peu de succès, qui ne revient d'ailleurs que peu après quelques efforts pour Mocky. En effet, Agent Trouble n'est pas leur seul méfait commun : trois films en 1987/88, puis un dernier thriller en 1995 (Noir Comme le Souvenir, autre seul à voir). Cependant, on a enfin droit à un vrai disque (vinyle) au complet !

Dès le début, on ressent une qualité certaine avec ces plans sur les routes montagnardes enneigées dans le brouillard (tournage aux alentours du Mont-Blanc mais aussi des bouts de Jura) et le thème principal de YARED pour ce film qui s'installe avec son 'ruissellement' de synthétiseur sur fond de cordes hivernales, suivi d'une marche à l'intensité dramatique. Le début de "Stanislas", du nom du rôle secondaire dévolu à Pierre Arditi, est ensuite utilisé quand Tom Novembre va faire les poches des riches touristes morts accidentés dans le bus : cordes haletantes et majesté en même temps. La touche YARED, à la fois accessible et exigeante.

On la retrouve sur d'autres présents dans le disque ("Trouble Suspense"), mais ces thèmes-là et notamment le principal sont les plus souvent repris, auxquels il faut joindre, en termes d'ambiances, "Le Lac Noir" avec ses nappes sombres, inquiétantes et pluies de notes tordues, à un degré contemporain de qualité. De quoi illustrer fort bien l'arrivée du second bus de touristes (celui dont se servent Deneuve et Bohringer pour enquêter) sur les hauteurs gelées, loin de toute civilisation. "Alex" (dévolu à Bohringer), tranche un peu avec son caractère exotique fait de percussions et sons asiatiques programmés, le temps d'une courte séquence dans un restaurant approprié.

Le reste du temps, Mocky fait exploiter à YARED le côté le plus franchouillard de son cinéma, avec un accordéon très à l'avenant. Il y a certes la douceur ("Agent Très Trouble", rêverie nostalgique splendide) mais aussi la valse musette, les clarinettes légères ("Victorien"), l'allegro folâtre aux cordes ("Karen", à point pour le personnage cruche de Dominique Lavanant), tout cela pour des mélodies qu'on n'entend peut-être qu'une fois, et parfois très brièvement, mais qui témoignent d'une B.O globale de qualité, fournie, colorée.

Entre tous, la plus belle de ces incursions plus ou moins directes dans le populaire et la romance demeure "Amanda Weber", toute entière à Catherine Deneuve, alternant violons classiques et espiègles avec douceur tragique de la femme solitaire. Sur disque, le morceau dure 6 minutes et quelques avec une belle présence de cuivres suaves également. Une grandeur certaine en somme, et il y a d'ailleurs une très belle variation de ce thème au piano mentionnée durant le plan où on la voit pensive, seule, dans sa chambre d'hôtel.