Alors, celui-ci, on ne l’avait pas trop vu venir. Enfin moi, surtout, dans un premier temps.

Ainsi, voici le premier album studio réalisé sous son nom par Grian CHATTEN, chanteur des très remarqués FONTAINES D.C., un des groupes les plus excitants de ces cinq dernières années, que nous avions laissé en 2022 sur le très bon Skinty Fia, suivi bien entendu d’une tournée pour le défendre.

Chaos For the Fly, tirant son nom d’une citation attribuée à Morticia Addams, matriarche dans la fameuse série horrifique et comique du même nom, fut enregistré en deux semaines pendant les rares moments de répit offerts par cette tournée, avec l’aide de Dan CAREY, producteur historique du groupe irlandais. CHATTEN apparaît sur la jaquette dans une pose christique et torse nu, debout sous un ciel qu’il tente de percer du regard, ce dernier ne semblant lui offrir que simples projectiles non clairement identifiés tout autour de lui. Seraient-ce les fameuses mouches mentionnées dans l’intitulé surplombant ce visuel, sur lequel le patronyme de l’artiste brille par son absence ?

Élaborée à Madrid, l’ouverture "The Score" nous mène d’emblée dans des contrées inhabituelles peuplées de guitares acoustiques et d’arrangements orchestraux. La voix si caractéristique de CHATTEN résonne soudain, nous rassurant sur les intentions affichées, cet amoureux transi attendant le moment opportun pour révéler sa main, tel l’expérimenté joueur de poker siégeant au "Bob’s Casino", encore flamboyant avant la chute toute proche et ces voix de plus en plus lointaines à mesure que le piège addictif se referme. La jolie "Last Time Every Time Forever" s’inspire des mêmes bruits soufflés par les bandits manchots, agrémentée d’un chant plus proche que jamais de celui dispensé par feu Mark E. SMITH. Autre pièce en partie issue d’une session d’écriture hispanique (à Jerez précisément, patrie du flamenco), "Fairlies" se situe toutefois plus entre les LA’S et le solaire "San Tropez" composé par PINK FLOYD en 1971.

La mélancolie demeure omniprésente mais ne se manifeste plus par des décibels ni par une instrumentation typiquement rock. Guitares acoustiques donc mais aussi piano, synthés étranges, violons, harmonica et trompette contribuent au tissage de chansons pop de chambre faussement naïves, un artisanat riche parfois proche de Nick DRAKE ou de Syd BARRETT, voire de RADIOHEAD en extrapolant un peu, servant les desseins thématiques toujours peu joyeux habitant CHATTEN.

"East Coast Bed" évoque avec émotion la mort de la coach de hurling du jeune Irlandais – le hurling étant une sorte de hockey sur gazon ancestral et gaélique avec deux équipes composées de 15 joueurs chacune –, spectre se manifestant par ce synthé fantomatique agrémentant une instrumentation très OASIS-like. Sur le country "Salt Thrower off a Truck", vision hivernale d’un New-York sous la neige, c’est celle du grand-père de CHATTEN que suggère pudiquement le dernier paragraphe.

Après un claustrophobe et lancinant "I Am So Far" édité pendant le confinement, l’album s’achève sur "Season for Pain", chanson à part, peut-être à cause de sa production comme l’affirme le chanteur, décrivant amèrement la fin d’une relation amicale ou amoureuse. Son final a été improvisé par les musiciens, une clôture où filtre soudain un timide rai lumineux, comme l’indication qu’il s’agit enfin de tourner définitivement la page.

Album pas si bien assimilé au départ par votre serviteur, ce dernier pensait intérieurement qu’il vivait en direct le premier faux pas de l’entité FONTAINES. Force est de constater que Chaos For the Fly permet d’admirer une autre facette de son frontman. Une poésie parfois morbide, toujours torturée au service d’un disque introspectif voire introverti, Stephan Boissonneault écrivant judicieusement dans le journal canadien Exclaim ! que ces chansons ne pouvaient exister que dans cet écrin, au vu de leur énergie différente qui serait entrée en conflit avec le répertoire habituel des FONTAINES.

Voici un disque à apprivoiser mais semblant s’enrichir à chaque nouvelle écoute attentive. Ainsi nomme-t-on un grower, celui-ci présentant en outre une complémentarité redoutable avec les autres réalisations des FONTAINES.