Aux Etats-Unis, la période 1986-89 est l'âge d'or du hard Rock. Il est alors crucial pour les maisons de disques d’avoir dans leur catalogue la relève (ou la copie conforme) des MOTLEY CRUE (Girls Girls, Girls est de 1987), BON JOVI (New Jersey sort en 1989) ou bien The CULT (Sonic Temple date de 1989), qui sont alors au sommet de leur notoriété et de leurs ventes.
Le manager Doc Mc Ghee, auréolé des récents succès de ses poulains de l’époque (SKID ROW, BON JOVI, MOTLEY CRUE...), cherche alors à dupliquer sa formule en jetant son dévolu sur un jeune groupe de Kansas City qu’il fait signer par CBS et à qui il fait enregistrer un premier album sous la houlette d’Andy Wallace (alors producteur de The CULT).The FRONT est né sous de bons hospices et était programmé pour rencontrer un succès rapide sans connaître les affres d’une lente, difficile mais respectable ascension. Mais l'histoire en décida autrement et ce premier essai éponyme fut également le dernier du groupe qui changea de nom puis sombra vite dans l’anonymat. La morale est sauve, me direz-vous. Sauf que l'album en question est tout simplement très bon !
En effet, les dix titres qui le composent, évoluent dans une veine Rock énergique et fortement teintée d’ambiances seventies. Dès l’intro aérienne et distordue de "Fire", suivie d’un riff très Rock auquel se greffe la gouaille de son chanteur, on comprend que l'écoute de cet album sera intéressante et surprenante. Les sonorités vintage de claviers et le phrasé nonchalant de Michael Franano donnent une saveur particulière à l’ensemble, un mélange de mélancolie et de gaieté, transcendé par un voile sombre. Le groupe propose une combinaison, fort bien maîtrisée, de refrains accrocheurs et enjoués, de mélodies envoûtantes et de sonorités nostalgiques. L'univers des DOORS, de LED ZEPELLIN, de The CULT, du VELVET UNDERGROUND et de TOMAWAK (le groupe français de feu Toma Kuhn) peuvent être évoqués. Pour autant, l’ensemble qui déborde de personnalité et de cohérence donne le sentiment que les morceaux présentés ici ont été longuement rodés par le groupe (ce qui n’est pas du tout le cas, ce dernier n’ayant que très rarement joué en live avant d’enregistrer) de sorte qu’ils défilent de manière logique et naturelle.
Ainsi, "Ritual", un des titres forts du disque, donne à écouter un chanteur au phrasé passant de la morgue à la passion, le tout sur un lit de sonorités faisant se succéder claviers planants, violons et guitares puissantes et volubiles. Le morceau monte progressivement en intensité, tout en alternant les ambiances sur fond de rythmique pesante. "Sin", dont la construction originale fait la part belle aux chœurs et à une basse très présente, est un peu de la même veine.
Dans un registre différent et assez proche de l’univers de The CULT, "In The Garden" est un morceau dynamique et enjoué, qui développe une saveur seventies (une proximité avec le groupe de Ian Astbury que l'on retrouve sur "Sister Moon"). C'est également un peu le cas de "Sunshine Girl" qui renvoie à un Rock seventies insouciant et léger. On titille même les ambiances progressives avec le magnifique "Sweet Emotion" au final qui mélange ambiances éthérées et inquiétantes.
La chose la plus remarquable est que cette variété de couleurs musicales et de styles ne nuit pas du tout à l’harmonie de l’ensemble et qu'il en résulte même une identité très forte. Une personnalité et une orientation artistique qui jaillissent à chaque moment et semblent incrustées dans chaque parcelle de ces dix titres. Le seul défaut que l’on pourrait à la rigueur trouver à cet unique album tient probablement aux textes des chansons qui oscillent entre le très léger et superficiel et des paroles plus obscures dont il est bien ardu de trouver une signification. Mais, surtout pour des Français, ce petit détail n’est pas de taille à faire obstacle au plaisir que procure ce petit bijou qui mérite d'être dépoussiéré.
Ce que je fais régulièrement puisque, plus de trente années après sa sortie, je continue de l'écouter avec toujours autant de plaisir.