Comme certains artistes (au hasard, la Cuba-Mexicaine Camila CABELLO, autre interprète brune charmante), MAËLLE, la plus célèbre des Tournusiennes, a 'enjambé' la plus mauvaise période pour les artistes, non sans difficulté évidemment. Néanmoins, suite à son premier album de 2019 que lui avait réalisé CALOGERO, et détaché temporellement parlant de ce qu'il y a eu (ou au contraire, manqué) entretemps, Fil Rouge en cet automne 2023 sonne bel et bien pour elle comme un nouveau départ. On dira peut-être même le vrai départ de sa carrière, entier, dans le sens où elle impose ses propres idées et peut envisager une tournée de concerts pour la première fois.

La benjamine des trois sœurs Pistoia, talentueuse bourguignonne, fait de bons choix, ne serait-ce qu'avec la pochette, déjà, sans doute l'une des plus réussies parmi les productions françaises des vingt dernières années. Sensuelle comme la pose et la lingerie fine, le lit et les rideaux, relâchement comme la pose à nouveau et la corde déliée qui pend, le carton à pizza qui traîne par terre avec des restes dedans, tons clairs-obscurs avec une lampe allumée alors qu'on dirait qu'à 6h13 du mat', il fait grand jour dehors... Une superbe réalisation qui attire l'oeil, donne envie d'en savoir plus. Et un très bon point pour rappeler le grand confinement, le premier, avec l'inspiration qui en a découlé, autant que pour annoncer le passage de 21 à 24 ans, un ton plus adulte, émancipé.

Le son de Fil Rouge (dont le titre évoque le mythe de Thésée, notamment pour Ariane) s'écarte lui aussi du premier album dont la couleur reste, même en mieux, celle de la chanson pop-rock française depuis la fin des années 90, aux textures grises et électro-orchestrales. Place à davantage de programmations, de synth-pop en vogue, qu'on en trouvait déjà un peu dans "You Go" en 2019. En tous cas, passé "On Avait Promis d'Être Sage", ballade plaintive au piano avec toujours la jolie voix aiguë d'une MAËLLE qui semble cependant décidée à mener sa vie et en profiter, "Toujours" nous fait plonger dans la nu-disco légère jusque dans les fredonnements des refrains, enjôleuse ("tout roule sur mon corps, c'est toujours plus fort"). Un morceau porteur qui, pour reprendre un des points forts du premier album, aurait mérité un peu plus d'espace, de durer davantage.

Le vrai single, paru avant Fil Rouge, est "Flash", avec son clip autocentré, dansant et plaisant sur fond de décor urbain. MAËLLE, bien qu'en proie aux doutes, est superbe avec son corps de femme dans la vingtaine, ses tenues, sa voix enfantine, pour un effort avec de beaux sons, un ton chaloupé, un air de Clara LUCIANI en meilleur. Autre élément du genre : "Slow", dans une veine synth-pop mais avec un beau piano Fender Rhodes ajouté, des images amoureuses bleues et de la sensualité. MAËLLE, qui participe à l'écriture et la composition de chaque chanson, qui gère une bonne partie des claviers également, renforce le travail sur ses propres choeurs. Cela s'entend dans les harmonies, la sensualité des aiguës, que l'on retrouve sur "Obsesionnel", tendance hip-hop bien arrangé, pont onirique...

Le reste de l'album alterne rythmes groovy ("Ouvrir les Yeux", "Nuit Bleue" dédiée au caractère éphémère de certaines amours, "Le Bonheur" où la chanteuse souligne la contradiction de fuir par peur de perdre) et pop-dreamy efficace, à l'image de "La Flemme" (où quand le mal devient habitude), de "Lumière de l'Aube" (pensée comme titre bonus), voire "En Attendant", toute en douce noirceur. Et cela, toujours avec un niveau à peu près égal de charme, de sensibilité, de qualité musicale. Entourée par une équipe de musiciens restreinte mais au top (Stan Neff, le Bordelais Jean Castel, le batteur jazz Troy Miller, le bassiste Martin Gamet qui a aussi travaillé pour CAMILLE et EMJI), parfois accompagnée juste par l'un d'entre eux ("Nuit Bleue", "On Avait Promis d'Être Sage"), MAËLLE fournit ici un bel écrin pop, de quoi amorcer une transition plus adulte sans renier ses talents apparus jusque-là. Une unité se ressent malgré les mains nombreuses, outre l'intéressée, dans le façonnement des titres. À ne pas rater, et ceci inclut le menu livret déroulant comme des cartes postales, les illustrations de Barbara P et Jenne Pineau pour chaque chanson.