À Tournus, en Saône-et-Loire (71) plutôt bords de Saône que de Loire, carrefour de cultures oc et oïl dans la région Bourgogne du sud, on compte davantage de monuments historiques et pieux que de célébrités, malgré une fibre plus légère et non négligeable du côté de la sculpture comme de la peinture, soit les trois premiers arts, maîtres pendant des siècles, jusqu'au milieu du XXème. Aussi, en 2018, le choc de voir une jeune demoiselle se muer en chef de file du quatrième, à savoir la musique, doit-elle constituer une autre fierté pour celle que d'aucuns catalogueraient vite comme une menue cité perdue dans la diagonale du vide française. MAËLLE, petite dernière de la famille Pistoia, devient une des nouvelles gagnantes de The Voice, le télé-crochet national numéro 1, portée par sa voix empreinte de féminité forte et sensible.

Déjà portée par les médias et soutenue par un public large, la demoiselle n'a que 18 ans lorsque son premier album éponyme est publié. Bien que prise sous l'aile de ZAZIE pendant l'émission, c'est CALOGERO qui s'est chargé de lui écrire l'album, même si pas en totalité, contrairement à ce que l'on peut lire çà et là. Rien que le single phare, "Toutes les Machines ont un Coeur", est une co-écriture avec ZAZIE, la mentor de MAËLLE à The Voice. Ce bon tube poppy-jazz, adolescent, avec une pointe de lyrisme, traite des relations à travers les ordinateurs et smartphones, au travers d'une mélodie plaintive et forte que l'intéressée parcourt d'une voix haut perchée, sur fond de cordes et de basse-synthé. Avec de beaux choeurs descendants et une guitare électrique western à la fin, c'est un titre efficace et dense qui dure un peu, pour notre plus grand plaisir.

Le reste de l'album possède une aura séduisante, qui ne veut pas trop en faire, et grise, à l'image de sa pochette. Le son pop-rock de variété apparaît moins aride que nombre d'autres publications françaises du même calibre depuis vingt/vingt-cinq ans, grâce à de bons éléments modernes, même si certains choix font très 'premier album de jeune chanteuse qui se laisse diriger'.
"You Go", avec sa fraîcheur californienne et son anglicisme perdu au milieu du reste, demeure cependant une tentative tout à fait convenable de dépasser le cadre franco-français. C'est une des chansons que CALOGERO compose avec sa compagne Marie Bastide (également Cyrille Nobilet pour le coup, un des musiciens principaux de l'album), qui a travaillé aussi pour Florent PAGNY et d'autres, quand il ne travaille pas avec ni ne s'efface au profit d'Inès Barbier ou d'autres intervenants. Il y a donc une couleur globale à cet album même dans les rares divergences.

Et l'attrait principal reste la voix de MAËLLE, si jeune encore (17-18 ans) et pétrie de sentiments forts et honnêtes d'adolescente dans un monde technologique, comme en témoignent "Je T'aime Comme Je T'aime", bonne âme au possible, ou "Le Mot d'Absence", évoquant le manque d'un parent ou autre proche, splendide ballade tendance soul avec rythmiques plaisantes (Philippe Entressangle tient la batterie), guitares avec effet chorus de Jan Pham Huu Tri, nappe de Mellotron-voix. L'idée de séparation et le coeur blessé de la demoiselle reviennent sur "Tu l'as Fait", ballade délicate ouverte par Nobilet au piano, puis ponctuée par la basse veloutée de CALOGERO lui-même. Après les besoins de réponses et les voeux d'amélioration, "La Marque" termine le disque par un slow étoilé, du célesta et des choeurs planants, tandis que MAËLLE parle d'envie de pardonner.

Notre artiste s'inscrit assurément dans la pop-variété hexagonale de qualité, aux côtés de pairs telles Marina KAYE, pour n'en citer qu'une, même si cette dernière défendant peu le français préfère les accointances hip-hop à la folk et au reste de la tradition. MAËLLE est déjà forte de ses "L'effet de Masse" (concernant la nocivité de la chose), "Sur un Coup de Tête" (de l'importance d'y aller au feeling, mais avec passion, nonobstant les reproches), tous délicats et empreints de chant profond au féminin, de beauté musicale, Mellotron et autres synthétiseurs planants, guitares acoustiques, sans parler des éléments jazzy, 'laid-back' voire cosmiques, avec de belles respirations instrumentales, parsemés sur les "Si" et "SOS".

Cette dernière est particulièrement adaptée au timbre vocal de la demoiselle, tout comme le 'tube' "Toutes les Machines ont un Coeur", dédiée à sa propre génération en manque de repères dans l'abondance de moyens. Reste "Le Pianiste des Gares", autre morceau d'orfèvre un peu à part, signature d'Inès Barbier conjointement avec Bastide/CALO, soutenue par un groove jazzy avec un esprit de fond très Michel BERGER. Un portrait de monsieur-pas-si-tout-le-monde mais qui communique facilement autant qu'il fait rêver (notamment ces dernières années, grâce à YouTube et même des compétitions nationales), musicien comme les autres de base et qui a dû lutter à sa manière. Le texte est bien sonnant, le chant de MAËLLE très sensuel, la mélodie doucereuse, la rythmique fournie (Entressangle mais aussi CALOGERO et sa basse goulue, slapée). Il y a aussi les percussions collectives ajoutées, la guitare funk de l'invité Michel Aymé (du groupe metal 80's WARNING, accompagnateur de stars de variété depuis) et les saxophones de Frédéric Couderc qui se réserve un long solo final très réussi, même si au baryton plutôt qu'au ténor, hélas, tout comme son intervention unique sur ce disque. Un vrai et beau premier disque.

Note réelle : 3,75