Native de Greensboro (Caroline du Nord), Rhiannon GIDDENS s’est fait connaître au sein de Carolina Chocolate Drops, formation spécialisée dans le Old Time et dans laquelle ont également sévi Layla McCalla et Don Flemmons. En 2005, après avoir œuvré dans le domaine de la Folk Scottish et le chant gaélique, Rhiannon a rejoint le Sankofa Strings, un ensemble qui donnera naissance à Carolina Chocolate Drops.
Depuis une dizaine d’années, Giddens a collaboré à plusieurs productions de premier plan : Lost on the River : The New Basement Tapes produit par T Bone Burnett, incorporant des textes inédits de Bob DYLAN. En 2015, elle enregistrait son premier album solo Tomorow Is My Turn, suivi par une participation au Transatlantic Sessions et une au Newport Festival. Après avoir participé à deux saisons de la série télé Nashville, elle obtient un doctorat honorifique en lettres, écrit plusieurs livres pour enfants, suivis de deux albums dans lesquels on retrouve l’italien Francisco Turrisi (son partenaire sur scène comme à la ville) : There Is No Other et They’re Calling Me Home, ce dernier leur permettant de décrocher un Grammy Award dans le registre Folk.

You’re The One, son sixième opus sous son nom, aborde une nouvelle sonorité. La pochette avec ce visage en gros plan pas véritablement pris de face, le patronyme constitué d’épaisses lettres bleu turquoise au-dessus du titre finement écrit en jaune alors que les douze titres figurent plus bas en lettres blanches rappellent certaines couvrantes du label Atlantic durant les seventies. Cette forme semble annoncer un changement de direction, d’autant que contrairement à l’accoutumée la chanteuse apporte un large éventail de nouveautés avec pas moins de 9 compos et 3 coécritures, soit la totalité de l’album.

En étudiant la line-up, un nom frappe plus particulièrement les esprits, celui du producteur Jack Splash, ancien chanteur du groupe Plantlife reconverti dans la production et la composition. Un gars nominé aux Grammy) à onze reprises pour trois trophées. Bref un producteur qui n’a pratiquement aucune corrélation avec le répertoire old time de Giddens. Jusqu’ici, Splash restait connu pour avoir produit Alicia KEYS, Kendrick LAMAR, CeeLo Green, Christina Aguilera ou Mary J. Blige, un panel de chanteuses et chanteurs bien éloignés de l’univers de la banjoïste. Après avoir œuvré pendant près de deux décennies dans les domaines du Folk et des musiques afro-américaines de type old time, Rhiannon prend ses distances avec les vignettes qui ont fait sa renommée. Il semble bien que le récipiendaire d’un prix Pulitzer et ancienne bénéficiaire d’une bourse Mac Arthur a voulu se tourner vers un public plus large, avec un répertoire original tanguant entre R&B contemporain, Soul, Jazz et une Pop à la limite de la variété internationale, un mélange dangereux dans lequel les gaz d’un Folk hybride surnagent.
Enregistré à Miami aux célèbres Criteria Recording Studios, là où James BROWN enregistra en 65 I Got You (I Feel Good), cet opus dévoile un décor moins austère que le répertoire habituel de l’artiste qui risque de rebuter certains auditeurs par une sonorité trop old time.

En guise de mise en bouche, le pétulant "Too Little, Too Late, Too Bad" nous entraîne sur les pas d’Aretha FRANKLIN ou de Chaka KHAN (époque Rufus). Mais la chanteuse surprend encore par la qualité de ses textes, posant un regard grave sur certaines dérives qui jouxtent le quotidien de l’Amérique. "Another Wasted Life", avec son orchestration et sa mélodie lorgnant sur certains génériques de la saga James Bond 007, évoque largement la faiblesse de certaines décisions prises par l’institution américaine. Ballade agréable, "Wrong Kind Of Right" se situe à la croisée des chemins d'une Soul début seventies du genre de Bettye SWAN et d'une Country Soul à la Tracy NELSON.

On retrouve de larges fragrances de Folk sur "Yet To Be", chanté en duo avec Jason Isbell, une triste histoire entre une femme noire et son compagnon blanc sous fond de racisme. Que les fans de la première heure se rassurent, on retrouve aussi certaines connotations avec le Folk et l’Americana : "You’re The One" qui donne son nom à l’album est une savoureuse mixture entre Tanita TIKARAM et UNCLE EARL, un clin d’œil à l’un des enfants de la chanteuse. On retrouve cet assemblage de Folk et d’Americana sur "You Don’t Know How Sweet It Is", titre rempli d’humour dans lequel la chanteuse nous livre sa conception d’un certain féminisme. Coécrit avec Keb Mo "Way Over Wonder" se révèle comme une distrayant mélange de Bluesgrass Appalachien et d’un Folk Ecossais dans lequel tous les instruments n’ont qu’un seul mot d’ordre : nous faire entrer dans la danse. En guise de clôture, Rhiannon nous offre un petit interlude instrumental d’une quarantaine de secondes entre square dance et bluegrass avec claquements de pieds, violon et banjo.

D’autres pistes explorent l’univers du Jazz Vocal. "Who Are You Dreaming Of" avec ses volutes de piano, de cordes et son enrobage de flûte nous ramène à l’époque de Billie HOLIDAY, Shirley Horn ou Teresa Brewer, avec une sonorité largement passée de mode. "You Put The Sugar In My Bowl" nous renvoie à une ambiance cabaret dans le genre de Barbra STREISAND ou de Bette MIDLER. Un titre sans grand intérêt si ce n’est qu’il se démarque du registre habituel de la chanteuse.

"Hen in the Foxhouse" pourrait synthétiser à lui seul les différents arômes de l’opus, par son assemblage hétéroclite d’Americana, de Soul, de Folk caraïbéen et de Scat Jazz, et la participation du guitariste congolais Niwel. Tsumbu. Mais s’il fallait décerner le prix du meilleur titre, "You Louisiana Man" remporterait sûrement une grosse partie des suffrages. La symbiose entre les différents instruments (accordéon, fiddle, brass band, percussions, frottoir) nous télétransporterait dans une scène de In The Electric Mist de Bertrand Tavernier, film inspiré d’un roman de James Lee Burke.

Si cet album sort du pré carré Folk old time de la chanteuse, il n’en demeure pas moins intéressant. L’orchestration et les arrangements font mouche sur 80% des morceaux. On regrette cependant la production sans éclat de Jack Splash, tandis que "Who Are You Dreaming Of" et "You Put The Sugar In My Bowl" qui sonnent terriblement incongrus coûtent un point en termes de notation. Reste à savoir sur quelle étagère ranger cet étrange kaléidoscope. Nous suggérons celle du Folk Soul.