Leon PAYNE pousse son premier cri au Texas en 1917. Non voyant depuis son enfance, il se lance très tôt dans l’apprentissage de la guitare, du piano, de la batterie et du trombone, instruments qu’il maitrise rapidement. Il se fait connaître au milieu des années 30 en participant à des shows radiophoniques organisés par la KWET sous le nom du Blind Balladeer. Admiratif de Bob Wills, il devient membre des Texas Playboys en 1938. Durant les forties, il écume le Texas et parvient à enregistrer sous le nom de Texas Blind Hitchiker, mais c’est véritablement en 1949 qu’il émerge de l’anonymat en fondant les Lone Star Buddies. Ses talents de compositeurs et sa voix douce lui permettent de passer à la Louisiana Hayride et au Grand Ole Opry. En 1948, il enregistre "Lost Highway" édité par le label de Nashville Bullet Records avant de s’imposer chez Capitol avec "I Love You Because". Fasciné par le Rockabilly, il signe chez Starday Records en 1956 sous le pseudo de Rock Rodgers, enregistrant trois singles de bonne facture témoignant d'un certain éclectisme. Brillant compositeur, pouvant évoluer dans plusieurs registres (Hillbilly, Western Swing, Honky Tonk, Rockabilly, Country Gospel), Leon Payne victime de problèmes de santé doit ralentir ses activités au milieu des sixties. Il décède en 1969, victime d’une crise cardiaque.

Aujourd’hui, si le nom de Leon PAYNE demeure encore dans les mémoires, c’est essentiellement grâce à la notoriété d’une poignée de ses chansons parmi lesquelles figure "I Love You Because" enregistrée en 1949 et Number One des charts Country pendant deux semaines. Autres réussites avec "You've Still Got a Place in My Heart", future reprise de Dean MARTIN, Jerry Lee LEWIS et Ray CHARLES, et "It’s Nothin’ To Me" composée sous le pseudo de Pat Patterson et popularisée par Buddy Long, avant d’atterrir dans l’escarcelle de Sanford Clark et Johnny WINTER. "Psycho" relance brièvement la carrière d’Eddie Noack avant de connaître une seconde jeunesse par l’entremise d’Elvis COSTELLO.
Mais le nom de Leon PAYNE reste inexorablement attaché au succès de "Lost Highway", titre mis en boîte en 1948 pour le label Bullet et repris par Hank WILLIAMS un an plus tard. Depuis la chanson a fait l’objet de multiples reprises, donné son nom à des livres, un label, et même à une série télévisée. En bref, un titre emblématique de la Country et du Hillbilly toujours tendance puisque figurant au générique de la récente série télé George & Tammy avec Jessica Chastain et Michael Shannon.

Edité sous la bannière de Starday Records, A Living Legend Of Country Music vient se poser comme une bouée de sauvetage pour le label de Don Pierce et d’Harold 'Pappy' Daily, un ancien comptable des chemins de fers reconverti dans la distribution de juke-box puis dans un magasin de disques ; en effet, le label vient de perdre l’une de ses meilleures ventes suite au décès de Cowboy COPAS dans un accident d’avion. Si le label vient de publier Hylo Brown Arthur 'Boogie' Smith et Lula Belle, il faut faire entrer de l’argent dans les caisses. Starday réactive l’un des anciens poulains, Leon ayant quitté le label en 1959, faute d’un bon contrat pour enregistrer chez TNT, D et Hacienda, de petits labels qui lui permettent toutefois de subsister.
Ce premier album provient de sessions gravées en janvier et février 63 au Starday Sound Studio à Nashville. Sur les 12 faces de l’album, 9 proviennent de ces sessions, la firme ajoutant 3 titres afin de correspondre aux codes en vigueur : "You’re The One" gravé en septembre 55, "Two By Four" et "You Can’t Lean On Me" provenant eux d’un passage en studio remontant à février 56.
Leon PAYNE est épaulé par une solide équipe de sidemen dans laquelle figurent les guitaristes Jerry Shook (futur Dolly PARTON, Kris KRISTOFFERSON, Buffy Sainte-Marie) et Wayne Moss (Brenda LEE, Fats DOMINO, Joan BAEZ et fondateur d’Area Code 615 et Barefoot Jerry), le banjoïste Curtis McPeake (ex-Bill Monroe, Wilma Lee & Stoney Cooper), le contrebassiste Junior Huskey (EVERLY BROTHERS, Tammy WYNETTE) et deux choristes de luxe avec Dottie West et Marion Worth.

Ce premier jet constitue une excellente palette dans laquelle on peut découvrir l’éclectisme du chanteur-guitariste. Le registre ballade ouvre les hostilités avec "Close To You" *, un titre empli d’une douceur moëlleuse à mi-chemin de Roy ORBISON et du style crooner. Sur la même lignée, "Pride Goes Before The Fall" s’annonce tout aussi guimauve. Cette compo de PAYNE avait préalablement été enregistrée par le chanteur Jim Reeves. Ronnie Milsap reprendra la chanson au début des eighties dans une veine un plus Pop. "She's Out Of Town" se situe entre la ballade Hillbilly et une romance pour crooner sur le retour.

Le registre Honky Tonk, sorte de chaînon entre le Western Swing et le Hillbilly des Appalaches, est une autre composante de son répertoire. "I Love You Because" ** instaure parfaitement l’atmosphère des bars où les cowboys et truckers viennent verser une larme autour d’une pinte de bière. Si tous ceux qui portent un colt ou un stetson semblent avoir repris cet air tout sucre tout miel, ce sont les versions d’ELVIS et Johnny CASH qui restent en mémoire. Quelle que soit la qualité des arrangements et de l’orchestration, elles sont toutes sur la même longueur d’ondes, celle de la ballade pleurnicharde. En 1960, Bob LUMAN en donne une interprétation pleine de vitamines qui nous semble plus captivante. "September Memory" avec ses coups de fiddle se situe sur le même registre. Seconde compo reprise par Hank Williams, "They'll Never Take Her Love From Me" pourrait servir de parfait prototype pour vulgariser le Honky Tonk. Au fil des années, la chanson connaît diverses covers se servant des tendances du moment. Johnny HORTON, Emmylou HARRIS, Charlie Rich et John Prine en délivrent de bonnes versions. Dernier Tonk avec "How Do You Cancel A Heartache" dont le rythme ne risque pas d’entraîner le moindre lumbago.

Entre Western Swing et Hillbilly Boogie à la Moon MULLICAN, "You Are The One" vient booster agréablement le disque, n’importe quel quidam bien entendant devrait s’apercevoir que le titre provient d’une séance ancienne, l’orchestration et les modes changeant comme le temps. "You Stood Me Up This Morning" vient se placer entre Hillbilly et Hillbilly Boogie, si la contrebasse marque le tempo de façon métronomique, la pedal steel nous renvoie au centre du saloon.

Deux titres font bande à part : enregistrés à Houston en 1956 et apparaissant sur le même 45-tours. "You Can’t Lean On Me" se déguste comme la fusion de Bing CROSBY et du registre Singing Cowboys popularisé par Gene AUTRY ou Ken Maynard, un mélange, selon nous, peu goûteux. "Two By Four" s’annonce comme une parodie de "One By One" du duo Kitty Wells/ Red Foley publié par Decca. On ignore quel chanteur endosse le rôle de Kitty Wells, mais le timbre complètement barré nous révèle une bonne dose d’humour.

Terminons par "Lost Highway" *** composé par son auteur au bord d’une route alors qu’il attendait un taxi. Si le morceau a depuis été accommodé à diverses sauces, parfois déconcertantes, c’est bien sûr celle mise en boîte par Hank WILLIAMS, épaulé du fiddler Dale Potter en mars 1949 au Castle Studio de Nashville, qui reste dans les mémoires. La version de Leon PAYNE, qui s’avère plus douce, reste avec celle de Don GIBSON dans le haut du panier. Certains se laisseront encore prendre par le texte : I'm a rollin' stone, all alone and lost -For a life of sin, I have paid the cost -Just another guy on the lost highway -Just a deck of cards, and a jug of wine.

Ce premier jet met en lumière l’éclectisme et la qualité d’écriture dont pouvait faire preuve Leon PAYNE. C’est bien sûr sa période Starday qui est ici représentée. Si les ballades et le Honky Tonk se taillent la plus grosse part du gâteau, il nous semblait préférable que le label incorpore des titres Rockab gravés sous le nom de Rock Rogers en lieu et place des trois faces captées au milieu des fifties. Ce disque marqué par le Honky Tonk risque de rebuter les amateurs de Country Rock et de Country FM.


*Titre homonyme à ceux de Willie Dixon, Burt Bacharach, Jackie Trent et Rihanna.
**Titre homonyme à celui de Michel Polnareff.
***Titre homonyme à celui de Bon Jovi