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2017 Compassion
 

- Style : Lorn

FOREST SWORDS - Compassion (2017)
Par PSYCHODIVER le 12 Janvier 2024          Consultée 357 fois

La musique est un art majeur, si ce n'est l'Art majeur, le seul, n'en déplaise à la fausse icône Gainsbarre. Lorsqu'une poignée de notes suffit à vous arracher des larmes ou à vous réinvestir d'un souffle de vie que vous aviez perdu dans quelque circonstance que ce soit, il faut se rendre à l'évidence. Aussi, dès lors qu'un artiste parvient à saisir l'aura de son époque à travers une suite de compositions rivalisant de puissance évocatrice, on touche au sublime, quand bien même cette sensation s'accompagnerait d'un profond malaise, d'une remise en question, d'une prise de conscience.

Nombreux sont ceux par le passé à avoir concilié esprit créatif sans faille et regard terre à terre, empathique ou cynique, sur leur environnement. Des BEACH BOYS de Pet Sounds livrant un commentaire à fleur de peau sur le devenir d'une Amérique pseudo idyllique, et d'un monde qui ne l'était pas moins, à tout le mouvement protopunk/77/post-punk, dont les représentants les plus illustres ne se berçaient d'aucune illusion et avaient trouvé le salut dans les cendres d'une contre-culture flamboyante mais éphémère... Des français de NOIR DÉSIR qui signaient avec Des Visages Des Figures le chef-d'oeuvre du rock chanté dans la langue de Molière, en plus d'une toile en clair obscur, aussi critique que terriblement humaine, du monde globalisé et désincarné dont la France semblait être devenue le laboratoire, en passant par RADIOHEAD et son In Rainbows, superbe chronique du quotidien d'un homme déambulant dans les mondes numériques infinis de la connectivité alors que la solitude s'érige en art de vivre, tous ces chemins mènent finalement à Compassion de FOREST SWORDS.

FOREST SWORDS, c'est tout d'abord Matthew Barnes, natif du Wirral, sur la côte ouest de l'Angleterre, fan de BJÖRK, passé par la case heavy metal et punk rock durant sa jeunesse. Lassé des études et des CDD, il se consacre désormais uniquement à sa passion, pur autodidacte évoluant dans les sphères les plus opaques des musiques modernes et par conséquent au travers de festivals confidentiels et du net (sommes-nous nombreux à l'avoir découvert grâce à l'envoûtant autant qu'angoissant morceau "Crow" de 2018, dark electro urbaine qui résume en quatre minutes l'essence malade de la "Trilogie de béton" de Ballard ?). Compositeur et travailleur des sons qui n'hésite pas à unir technologie et nature/cultures ancestrales, souvent en favorisant ces dernières (le monsieur ne se définit pas comme religieux mais pas non plus comme mécréant).
Compassion est son deuxième album, l'opus de la maturité et plus encore : le monument de la décennie 2010. Traduisant par l'intermédiaire d'un voyage introspectif, sombre et viscéral, les stigmates d'une décennie durant laquelle, faut-il le rappeler, on a pu assassiner plusieurs centaines de personnes en plein Paris sous Vigipirate et dispositif Sentinelle avec une facilité déconcertante. On nous a expliqué que les tapis de bombes appliqués à des populations spécifiques étaient moraux et dignes. On a vu des individus lambdas être estampillés 'terroristes' pour avoir prononcé quelques misérables mots interdits. On a assisté à la naissance de mouvements sociaux, certains plus spontanés que d'autres et par conséquent moins bien traités que d'autres. De quoi devenir taré. Partant d'un postulat en apparence simpliste (la communication et la difficulté de décrypter le vrai du faux dans le flux d'informations en continu), Barnes a dressé un portrait finement observé d'un genre humain en pleine crise. Il y a quelque chose de lynchien dans cette démarche. Les humains sont comme des détectives. Nous voulons tous comprendre ce qui se passe et savoir ce qui est vrai, déclarait ainsi le père de Dale Cooper.

Dix années atroces pour dix morceaux d'électro expérimentale puisant autant dans le registre classique/concret que dans la world music (ces mélodies japonaises et arabes qui parcourent l'ensemble) et où le post-rock phagocyte la dark wave, le tout complété par des samples vocaux masculins/féminins en totale adéquation avec les ambiances abstraites/baroques/urbaines de l'album.
Cet opus s'affirme d'une unité à toutes épreuves, dont pourtant aucune piste ne ressemble à sa voisine. Compassion s'écoute tel un tout, une exploration étape par étape d'un monde moderne en perdition, rongé par le mensonge, l'hypocrisie, la paranoïa, le terrorisme, la raison d'être vacillante de la foi, la perte de repères du déraciné. Le ton est donné dès "War It", tout simplement impressionnant. L'angoisse et la désolation rencontrent le rêve et la pureté autour d'une progression captivante. Un parfait compromis entre électronique et direction orchestrale. Le titre le plus représentatif des ambitions de son créateur.
Le pesant "The Highest Flood", porté par une rythmique où l'épique côtoie le doute dévorant, semble concilier l'indus et la musique de film (le Philip GLASS de Koyaanisqatsi n'est pas loin) au milieu des ruines de Bassora, Alep ou Beyrouth. La tension est à son comble sur le terrible "Panic", véritable cauchemar éveillé où rôde une menace insidieuse. Vous serez tel Cassandre préssentant un désastre imminent à l'écoute de ces cordes dramatiques, de ces carillons narquois, de cette basse protéiforme et de ces voix déformées, comme provenant de l'autre côté.
Sur "Exalter", le ciel demeure chargé tandis que la rythmique électro et les samples agressifs s'associent à une flûte et des cordes plus apaisées, ambiance nippone garantie, même si l'on demeure plus proche de Ran de Kurosawa sensei voire d'une Pluie Noire d'Imamura que d'un Ghibli familial). Cette tonalité ancestrale extrême-orientale se retrouve sur "Arms Out", le plus beau titre du disque et le plus lumineux. L'espoir est encore présent, la foi également. La montée en puissance, cordes et chœur féminin à l'appuie, est bouleversante.
Le bien nommé "Vandalism" nous maintient en terres lointaines au moyen de percussions martiales et moult cassures mélodiques/tribales. La symphonie de "Raw Language", parcourue d'influences indus, ambient voire hip hop, sans jamais confiner à l'indigeste, achèvera de convaincre le dernier réticent de la maestria de Monsieur Barnes.
En guise de repos après tant d'émotions vécues, s'ajoutent deux plages contemplatives orientées dark ambient : "Border Margin Barrier" (avec son ambiance orchestre installé dans une usine désaffectée) et "Sjurvival" (un train de ville passe, tandis que des milliers d'âmes dérivent sur le goudron). Arrive la conclusion, "Knife Edge", ses clochettes laissant la place à un piano somptueux à la BARK PSYCHOSIS cohabitant avec diverses interférences et toujours ces bribes de voix qui viennent à vous sans prévenir. L'album s'achève sur un sentiment de boucle non bouclée. Achevant ainsi la réflexion sur une histoire humaine aliénante qui toujours se répète.

Le RADIOHEAD post Kid A, le Peter GABRIEL de Security, la face B du Low de BOWIE, les premiers PUBLIC IMAGE LIMITED (Compassion est un fils spirituel d'une certaine Metal Box) réunis dans un trip astral affranchi de toute limite spatio temporelle, version lovecraftienne de l'univers de MOBY, bande-son idéale pour l'étude d'un ouvrage de René Guénon, Pornography/Unknown Pleasures du XXIème siècle. Quelle que soit l'interprétation que vous aurez de Compassion, cet album ne vous laissera pas indifférent. FOREST SWORDS, incarnation d'une contre-culture résolument clandestine mais pas morte, s'est érigé comme le porte-parole d'une génération plus sinistrée encore que celles qui l'ont précédée. Tel un John Lydon dématérialisant et façonnant la musique à sa guise, un Robert Smith affirmant sa volonté de vaincre son mal être ou un Ian Curtis combatif insurgé contre l'Interzone ayant annexé Manchester, Matthew Barnes, sans aucune prétention politique stérile, prône une lucidité salvatrice et universelle contre toute forme de résignation, via une musique dans laquelle peuvent se retrouver autant le petit blanc périphérique que le banlieusard, ces paumés et otages d'un monde moderne diviseur et perfide qui les amène jour après jour vers un néant déguisé en avenir.
Compassion, c'est LE son de la décennie 2010 et par extension des années 2020, tant la stagnation inhérente à la première citée a la peau dure. L'espoir et la compassion sont les deux derniers piliers de l'humanité. Le premier cité est en bien piteux état. Si la compassion disparaît, ce sera la fin du genre humain. Néanmoins, au regard des récents bouleversements mondiaux, il n'est pas impossible que ce phénomène de stand-by prenne fin plus tôt que prévu. Seul l'avenir nous le dira.

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- Matthew Barnes (tout)


1. War It
2. The Highest Flood
3. Panic
4. Exalter
5. Border Margin Barrier
6. Arms Out
7. Vandalism
8. Sjurvival
9. Raw Language
10. Knife Edge



             



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