Premier disque pour D.K. HARRELL, jeune guitariste louisianais natif de Ruston, ville située entre Monroe et Shreveport. Comme de nombreux artistes noirs, D.K. fait ses gammes sur les bancs de sa paroisse chantant au sein de la chorale. Il se met à l’harmonica avant de bifurquer vers la guitare, instrument qu’il apprend en autodidacte. Au fil des années, l’apprenti guitariste progresse à vitesse hallucinante. En 2013, il assiste à un concert de B.B. KING à Baton Rouge, un évènement qui se transforme en révélation. Victime d’harcèlement au collège et à l’Université, la guitare deviendra vite un refuge et une bouée de sauvetage pour l’adolescent. Le jeune guitariste va parfaire sa technique en étudiant de nombreuses vidéos sur le Blues et va connaitre un premier pic en septembre 2019 en étant convié au B.B. King Day Symposium. La pandémie aurait pu s’avérer être un frein préjudiciable, mais le louisianais va mettre à profit cette période pour enregistrer de multiples vidéos sur YouTube se forgeant sans grands moyens une notoriété inattendue qui l’amènera à décrocher une belle troisième place lors de l’International Blues Challenge 2022 à Memphis, un trophée qui lui permettra de s’ouvrir les portes des plus grands festivals de Blues. Alors qu’il postule au San Diego Blues Festival, Michael Kinsman lui répond que la programmation est bouclée mais le met en contact avec Jim Pugh, patron de Little Village, label qui a le vent en poupe avec un riche catalogue (Angela STREHLI, Diunna GREENLEAF, Nick MOSS, Rick Estrin ou Monster Mike Welsh).

Enregistré en cinq jours au Greaseland Studios de Kid Andersen, haut lieu du Blues situé au Sud de San José, à la limite de Los Gatos, ce premier jet nous en met plein la gueule dès la première écoute. Il n’y a qu’à regarder l’équipe d’élite participant à l’enregistrement : le claviériste Jim Pugh (Robert CRAY, Etta JAMES), le batteur Tony Coleman (B.B. KING, Quincy Jones) également initiateur du projet, le bassiste Jerry Jemmott (Aretha FRANKLIN, Freddie KING), les guitaristes Kid Andersen (Rick Estrin, Bob Corritore) et Alabama Mike auquel s’ajoute un solide parterre de choristes et de cuivres. Sous la houlette de Kid Andersen, D. Kieran choisit onze titres parmi les trois cent chansons enregistrées sur son ordinateur.

Dès "The Right Man", titre qui donne son nom à l’album, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec B.B. KING, les vibratos de guitare des deux guitaristes sont extrêmement proches. Au niveau des textes, tel un vieux briscard D.K. sait mettre une partie des auditeurs dans sa poche comme en atteste "You’re A Queen", chanson dédiée à la gente féminine posant ses bases sur une sorte de Jam Funk où tout semble rôdé. Superbe Slow Blues, "Get These Blues Out of Me" se situe à la croisée des chemins entre B.B. KING et Preston Shannon, guitariste attitré du célèbre B.B. King’s Blues Club de Memphis. La cadence s’accélère avec "You’d Be Amazed", si la guitare se pare d’un délicat costume coloré de Funk, la rythmique et les volutes de claviers nous renvoient vers le répertoire de B.B King des années 70.
"While I’m Young" avec ses chœurs, un piano et un tempo reposant sur un shufle, impulse une atmosphère plus sudiste. On appréciera le groove diffusé en deux parties distinctes sur "Not Here For A Long Time", la seconde correspondant à une Jam Session dans laquelle tous les belligérants semblent s’en payer une bonne tranche, alors qu’Harrell cite quelques-unes de ses idoles. La présence de cuivres sur "Hello Trouble" marque une rupture bienvenue avec l’ensemble tandis que timbre acidulé prend des intonations naturelles à la Freddie KING. Impression identique avec "Honey Ain’t So Sweet" où la mise en place des différents instruments parait millimétrée, la rythmique et les arrangements sont d’une qualité rare tandis que la guitare touche à chaque note, tout en prenant soin d’éviter toute effusion intempestive. "Leave It At The Door" diffuse paradoxalement deux contrastes saisissants : d’un côté on a l’impression d’entendre une prise directe dans le genre d’une Jam alors que la cohésion entre les instruments est toujours aussi palpable. L’orgue Hammond tisse une ambiance d’église pendant une cinquantaine de secondes sur "One For The Road" avant que Tony Coleman ne fasse parler ses baguettes, un titre de fermeture prétexte à des solos diversifiés, Jim Pugh nous offrant un passage digne de Rhoda Scott ou Jimmy SMITH ; un titre enregistré dans la bonne humeur avec un naturel déconcertant.

Ce premier disque demeurera l’une des valeurs sures de l’année 2023 en matière de Blues. Bon conteur d’histoire, D. K. Harrell s’avère également bon chanteur, son timbre se modulant parfois sur celui d’un jeune Freddie KING. Le vibrato de guitare et la structure de certains morceaux nous ramèneront vers un autre King (B.B. idole déclarée du louisianais) tout en évitant tout soucis de copie servile. La production soignée, une constante chez Andersen, permet d’écouter ce disque sans la moindre lassitude et de découvrir un Blues qui sort de l’ordinaire. Alors que de nombreux guitaristes demeurent de farouches partisans de cascades de notes riches en virtuosité technique, qui finissent bien souvent par se perdre en route, D. Kieran Harrell nous délivre une œuvre plus simple néanmoins imbibée d’une bonne humeur contagieuse. Avec son jeune confrère Christone "Kingfish" INGRAM, D.K. Harrell constitue probablement le futur du Blues, en espérant que les petits cochons ne le mangent pas.