Il arrive parfois que le terme gothique prenne tout son sens en réussissant à s'incarner en un projet musical des plus prometteurs. Si par gothique, vous entendez tout simplement un monde forcément noir où les sentiments sont agités en permanence par de sombres tourments, il se peut alors qu' AUX ANIMAUX en épouse alors pleinement les formes. Cette personnification, c'est Gözde Duzer, artiste autodidacte originaire de Turquie et qui vit depuis de nombreuses années en Suède. Elle expose depuis 2017 un univers particulièrement expressif qui allie aussi bien films d'horreur, défense des animaux, véganisme et occultisme. Si parfois le goth dévoile un insoupçonné sens de l'humour noir, il semble qu'ici, à l'évidence, avec Body Horror, ce ne soit aucunement le cas.

AUX ANIMAUX, à travers ces neuf titres et à l'image de sa terrifiante pochette a décidé de ne pas faire dans la demi-mesure. Les plus sceptiques y trouveront sans doute à redire tant la limite entre sincérité et gros effets caricaturaux est parfois ténue. Les autres accepteront l'univers de Duzer qui bien que cauchemardesque n'en demeure pas moins attractif. Ce n'est pas le très court introductif "Redrum" qui va me faire mentir. L'auditeur ne se retrouve pas dans l'immense Overlook désolé mais dans une toute petite pièce capitonnée où seul résonne sur fond de nappes de claviers ce mantra malsain. Duzer ne craint donc pas de jouer avec les codes et les classiques de la culture gothique ou du moins ce qui pour le grand public (sans notion péjorative) y correspond le mieux.

Il ne faut pas dès lors s'étonner d'entendre par exemple durant les premières secondes de "Night" la voix de DRACULA-LUGOSI nous exhorter à écouter la musique des Enfants de la nuit. En parlant de musique justement, AUX ANIMAUX expose une dark wave aux effluves EBM qui se montre aussi bien hypnotique qu'étouffante à l'image de l'excellent "Sleep Paralysis". Elle semble ne se raccrocher à rien si ce n'est à ce désir de nous (dé) montrer que les ténèbres ne sont jamais bien éloignées de nous. Des ténèbres, oui mais qui se nourrissent volontiers de l'expérience, du vécu et des convictions affirmées de Duzer. Ainsi le lancinant "Lost Souls" n'est ni plus ni moins qu'un titre nocturne dédié à tous les animaux vivant en captivité.

AUX ANIMAUX, c'est certain, par ses ambiances répétitives gagne en cohérence affichée ce qu'il peut perdre en très grande originalité. Si Body Horror est comme ramassé sur lui-même, il n'empêche pourtant pas Duzer de happer l'auditeur pour l'emmener faire un tour dans les méandres de sa psyché. A l'image de "Venus Lucifer", l'artiste tout en sensualité vocale vénéneuse s’immisce à son tour dans votre tête pour ne plus vous lâcher. C'est d'autant plus paradoxal que l'ambiance noire avec simili hurlements de loup n'est pas nécessairement des plus chaleureuses. L'une des particularités du projet est cette utilisation plutôt rare du thérémine qui crée dès lors des atmosphères étranges qui ne sont pas loin de générer un sentiment de crispation (l'excellent "Black Out"). Bloc de malaise et de mal-être à l'image de l'obsédant "Devastation Song" ou du glacial "Violence In The Silence", cet opus gratte vicieusement la où ça fait mal.

Body Horror est donc à l'évidence une excellente surprise. Gözde Duzer nous expose avec un talent certain un monde sans concession, son monde. En ces temps parfois aseptisés, ce souffle noir est assurément salvateur.