Alechia Janeice Campbell, ancienne sprinteuse reconvertie dans la Soul, suite à une grave blessure, s’est fait connaître en 2000 en participant à la bande-son de Bait (Piégé), un thriller d’Antoine Fuqua avec Jamie Foxx. Si le film est un échec commercial retentissant, la bande originale de Mark Mancina parvient à atteindre la 49ème place des charts R&B/Hip Hop. En 2004, Alechia, devenue Leela JAMES, se fait connaître en servant de première partie à Macy GRAY et aux BLACK EYED PEAS et collabore à l’album de Pete York Soul Survivor II. L’année 2005 va s’avérer plus juteuse, son nom apparaît sur Genius & Friends, un album posthume de Ray CHARLES, regroupant 14 duos enregistrés entre 1997 et 2004, une compil dans laquelle Leela se retrouve en compagnie de Diana ROSS, Alicia KEYS, George MICHAEL et Chris ISAAK. Mais Leela parvient enfin à placer son nom sur la carte de la Soul avec A Change Is Gonna Come, album édité par Warner Bros au début de l’été et qui semble curieusement avoir été mis sous l’éteignoir par la maison de disques.

Ce semi-échec est dur à avaler pour la jeune chanteuse qui connaît une longue traversée du désert ; elle se fait néanmoins remarquer grâce à sa participation à la bande-son du film Soul Men avec Samuel L Jackson. Leela rebondit en 2009 avec Let’s Do It Again, album publié par Shanachie Records, un indépendant basé dans le New Jersey, longtemps spécialisé en musique celtique et Reggae.

Deux précautions valant mieux qu’une, Leela James, déçue par sa collaboration avec Aaron Harris (producteur de Lil WAYNE et Dr Dre), décide de produire elle-même son deuxième opus, une manière de garder la main sur la direction artistique et de veiller sur ses musiciens.
Enregistré à l’East Side Sound à New York, les consoles sont entre de bonnes mains avec l’expérimenté Marc Urselli (Ennio MORRICONE, John ZORN, Joan OSBORNE) et Eric Elterman. Au niveau de son orchestre, Leela a opté pour de jeunes musiciens venus d’horizons différents. Seuls le batteur Steve 'Supe' White (ex-Paul Weller, Angie Stone), le percussionniste Rudy Bird (Miles DAVIS, NAS) et le saxophoniste Teodross Avery (Joss STONE, Amy WINEHOUSE) disposent d’épais curriculum.

Leela James nous délivre ici un patchwork de onze titres combinant d'anciens standards représentatifs d’une Soul sixties/seventies à des titres moins connus. L’album part sur les chapeaux de roue avec "Clean Up Woman", hit de Betty WRIGHT interprété ici avec vigueur. Le chant rauque et puissant fait merveille, le jeu de guitare de Ricardo Ramos marche sur les traces de Willie Hale et ne cherche aucunement à s’orienter vers des voies aussi démonstratives qu’inutiles, contrairement à certaines covers. Leela redonne une seconde jeunesse à une chanson vieille de presque quarante ans, dans un style presque trop conforme à l'original. Hasard ou coïncidence, elle s’attaque à "Simply Beautiful" enregistré par Al GREEN la même année que le hit de Betty Wright. Si la chanteuse avait parfois tendance à en rajouter, là son chant presque ascétique est le parfait pendant d’une discrète guitare. Un titre plein de délicatesse à ranger aux côtés des versions de Queen Latifah ou de la regrettée Lizzy Mercier Descloux. On remonte dans le temps avec "It's a Man's Man's Man's World" de James BROWN. Contrairement à la version originale et de nombreuses imitations, pas de roulement de tambours ni de cordes en guise d’intro, mais le chant allie ici puissance et feeling. Si le titre aurait selon nous mérité d’être réduit d’une bonne minute, les arrangements et l’orchestration nous emmènent vers une bonne version, largement supérieure à celles de CHER, Joss STONE ou Layla Zoe. Une relecture qui s'intègre à celles d’Etta JAMES et de Big MAYBELLE. Composé par le pianiste Jimmie Cox sous la forme d’un Vaudeville Blues dans les années vingt, "Nobody Knows You When You're Down And Out" reste rattaché au répertoire de Bessie Smith qui en changea les paroles. Au fil des années, la chanson tombe dans les mailles de différents registres (Folk, Blues, Jazz, Pop, Soul). Nina SIMONE, Eric CLAPTON et chez nous Colette MAGNY ou Nino FERRER avec "Le Millionnaire" lui redonnent ses lettres de noblesse via les radios. Si le monde de la Soul s’est lui aussi emparé de la chanson (Sam COOKE, Otis REDDING, Bobby WOMACK, Roberta FLACK) avec plus ou moins de réussite, Leela s’offre une habile relecture dans laquelle cuivres et chœurs apportent de la matière, tandis que la guitare s'avère aérienne.

Leela JAMES s’offre deux incursions dans le monde de la Pop. "Miss You", titre semi Disco des STONES, bénéficie d’arrangements de premiers plans. Le timbre de JAMES parfumé de quelques cris et gémissements sied parfaitement au morceau, mais encore une fois le titre aurait mérité d’être raccourci. Une version qui relègue à des années lumière celles des anglaises Imaani et Kendra Morris, sans oublier le massacre de Carla BRUNI, ancienne Première Dame de France. Second emprunt à la Pop avec "I Want To Know What Love Is", succès planétaire de FOREIGNER. Cette guimauve pur sucre a fait l’objet de moult mixtures souvent discutables. Si Leela parvient à tirer son épingle du jeu, elle risque néanmoins d’avoir raison de la patience des plus stoïques, la chanson dépassant les 7 minutes. On est heureux quand arrivent les dernières notes.

Comme souvent, les meilleures pioches proviennent des reprises les moins connues, à commencer par "Let’s Do It Again" qui donne son nom à l’album. Cet ancien Numéro Un composé par Curtis MAYFIELD a servi de bande-son à la comédie policière du même nom réalisée et interprétée par Sydney Poitier. Si les STAPLE SINGERS demeurent les premiers interprètes d’une version hautement conseillée, Leela JAMES se montre ici au mieux de sa forme, les arrangements et le groove s’orientant résolument vers un tempo hyper lent. Probablement la meilleure reprise de ce titre oublié avec celle de la guitariste Ana POPOVIC. Même chose avec "You Know How To Love Me" l’un des plus gros succès de Phyllis Hyman. Si l’orchestration pleine de vitamines nous entraîne entre Florida Sound et Philly Soul, Leela parvient parfaitement à faire fluctuer le morceau. C’est encore sur un titre mid tempo qu'elle donne le meilleur d’elle-même. "Baby I’m Scared Of You", un inusité de WOMACK & WOMACK, proposait un excellent duo, Linda et Cecil Womack s’interpellant tout au long de la chanson suite à des divergences sur leur attente amoureuse. Leela parvient en solo à maintenir la tension du début à la fin. "I Try", une compo d’Angela Bofill, aurait tendance à prouver que ce sont sur les tempos les plus lents et les moins connus que la chanteuse se montre la plus captivante. Si le saxophone endosse le premier rôle derrière une orchestration Jazzy, le timbre plein de nuances fait la différence. Cette connotation basée sur des tempos lents fait encore son effet sur "I'd Rather Be With You", une compo de Bootsy COLLINS et George Clinton qui prend ici son envol via un groove superbement posé. Une version selon nous plus gouleyante et moins lascive que celle de BEYONCE.

Certains lecteurs pensent probablement que le nombre de reprises (la totalité) affecte l’intérêt de l’album. On laisse libre à chacun son idée sur cette question. Leela JAMES sait allumer le feu quand le besoin s’en fait sentir. Si la chanteuse avait pu s’éviter de reprendre le titre de FOREIGNER, et si deux pistes nous paraissent s’éterniser en pure perte, ce disque aurait pu recevoir un point de plus, un petit pas grand-chose qui fait toute la différence avec une œuvre plus mature. Cet album aux rythmes variés propose une agréable plongée dans une Soul 70, registre qui allait perdre une partie de son âme principalement pour des questions de facilités, de synthétisme musical, d’un manque de créativité, de changements de tendances, mais c’est là un autre débat.