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1976 My Spanish Heart
 

- Style + Membre : Chick Corea Elektric Band

Chick COREA - My Spanish Heart (1976)
Par ELK le 22 Février 2024          Consultée 561 fois

Alors là, on s’attaque à du très lourd ! Pour être franc, cet album ça passe ou ça casse. Qui n’est jamais tombé en arrêt devant cette pochette kitchissime de l’ami Chick COREA (de son vrai nom Armando Anthony Corea) posant en fier matador, cheveux plaqués sur la photo recto et lâchés sur le verso ? Mais ne vous arrêtez pas à cette apparence, car se cache au sein de ces sillons une des œuvres les plus ambitieuses et inspirées d’un musicien majeur dans l’histoire du Jazz (décédé en 2021) et notamment pour son immense apport à l’ouverture du genre à des influences musicales alternatives : musiques latines, rock, progressif, électronique, classique.

En 1976 Chick était déjà un musicien accompli, grand apôtre du Jazz Fusion, grâce notamment à RETURN TO FOREVER, groupe qui venait de sortir quelques mois auparavant son chef d’œuvre, l’album Romantic Warrior. Au faîte de son inspiration et de ses capacités instrumentales, il décide d’arpenter le versant le plus latin de ses influences (étant lui-même américain d’origine non pas hispanique comme on le croit souvent mais italiennes). Pour se faire, il embarque avec lui l’immense Stanley Clarke, bassiste virtuose de RTF, le non moins formidable Steve Gadd à la batterie et Don Alias aux percussions. La femme de Chick, Gayle Moran, apporte sa voix et ses chœurs sur plusieurs titres, alors que le frenchy Jean-Luc Ponty pose son violon sur "Armando’s Rhumba", titre emblématique du disque. Enfin pour compléter le tout, deux quatuors classiques, l’un de cordes et l’autre de cuivres participent à l’opus.

Chick s’occupe de tout le reste, composition, production, tous types de pianos et claviers, claquements de mains sur certains titres, et nous offre 73’ d’un jazz fusion improbable, nourri des grandes influences espagnoles (mais pas seulement) du pianiste virtuose. Mettons d’ailleurs les choses au clair : quand on parle d’influences espagnoles, Chick se réfère essentiellement à la musique classique (elle-même d’ailleurs gorgée des racines folkloriques hispaniques notamment le Flamenco) : on parle de GRANADOS, ALBENIZ, DE FALLA, RODRIGO ou autre TARREGA. On sait également que le style et la carrière de Chick seront toujours marqués par les influences latines, sud-américaines et méditerranéennes qu’il contribuera grandement à parer de lettres de noblesse dans l’univers du Jazz (parfaite illustration, son titre le plus connu "Spain", sorti trois ans plus tôt).

Avant d’entrer dans le détail de l’album, un dernier avertissement s’impose : certaines sonorités peuvent aujourd’hui surprendre et sembler datées ou désuètes, je pense à des sons de synthé et aux voix féminines vaporeuses qui irriguent plusieurs titres, alors que quelques tournures mélodiques peuvent parfois apparaître comme légèrement caricaturales dans un un registre espagnol un peu outrancier. Ne vous arrêtez surtout pas à cela, car pour le reste c’est de la grande et belle musique qui nous attend, un coffre au trésor qui recèle mille richesses.

Sur le premier disque (version vinyle), le titre inaugural, "Love Castle", nous place sur un douillet nuage mélodique d’essence hispanique soutenu par une basse dynamique jouée au clavier Moog, sur lequel Chick place un beau thème au piano avant l’entrée de chœurs féminins puis un joli solo aux claviers. Le titre "Wind Danse" en est assez proche avec un tempo rapide superbement drivé par la batterie, des chœurs évanescents et des chorus de claviers. Ces deux titres sont probablement ceux dont les sonorités sont les plus datées, mais les compos sont superbes et méritent le détour passée cette première impression. "Night Street" se déploie dans une ambiance latine qui lorgne cette fois largement vers Cuba avec force percussions et figures rythmiques complexes soutenues par des claquements de main. Chick maîtrise l’exercice à merveille et place une chouette impro aux claviers sur une seconde partie plus planante. Deux titres bénéficient de la participation de Stanley Clarke : tout d’abord le superbe "The Hilltop" qui débute par un duo entre les cordes frottées du piano de Chick, et celles de la contrebasse de Stanley Clarke. Un dialogue s’installe, et le joli thème au piano apparaît, l’intensité progresse doucement et les deux instruments échangent et se répondent superbement avec de belles variations de volume et d’intensité. "The Gardens" est également acoustique, le piano de Chick soutenu par la contrebasse de Stanley Clarke échange cette fois avec un violoncelle qui va chercher de superbes dissonances pour mettre en valeur la beauté de la progression harmonique du titre. Sur "Day Danse", l’ensemble du quatuor de cordes intervient sur un tempo soutenu, parfaitement challengé par les arabesques du piano virtuose qui finit seul superbement le morceau dans sa seconde partie. Les battements de mains viennent appuyer l’ensemble et renforcer la tonalité latine recherchée. "My Spanish Heart" est un titre au piano solo, fortement évocateur d’une nocturne de Chopin, avec une mélodie profonde et mélancolique soutenue par de jolis chœurs. "The Sky" enfin, nous propose en deux parties des variations sur un thème assez décousu, d’abord d’essence très classique puis de plus en plus jazz dans une ambiance assez lente et méditative dotée de quelques traits espiègles (je pense à Satie en l’écoutant) très réussie.

Le second disque débute par "Armando’s Rhumba", grand classique du disque et un des titres les plus fameux et repris du pianiste américain. En trio avec Stanley Clarke et Jean-Luc Ponty, Chick dévoile un magnifique thème exécuté sur un rythme chaloupé soutenu par des claquements de main, chaque musicien apportant sa brillante touche en solo à cette superbe composition. "El Bozo" est une suite en quatre mouvements, avec un superbe prélude au piano très hispanisant, avant que l’entrée des instruments électriques installe une ambiance planante ponctuée d’un thème aux claviers évoquant irrésistiblement le "Concerto d’Aranjuez" de Rodrigo, dont on sait que Chick Corea est grand fan. Les deux derniers mouvements du titre sont marqués par des sonorités un peu vintage et une belle mélodie aux claviers qui se déploie sur des rythmes latins jusqu’à la fin du titre. "Spanish fantasy" est enfin la pièce de bravoure du disque et probablement son sommet en terme de composition. Tout débute en partie 1 par le piano virtuose de Chick qui installe des vagues aux forts accents espagnols, soutenus par la caisse claire de Steve Gadd et l’entrée des trompettes dans une ambiance très martiale. Celles-ci alternent avec des traits rapides au piano, avant l’intervention de la contrebasse de Stanley Clarke et de belles harmonies de cordes qui accompagnent la fin du titre. Sur la partie 2, on plonge dans l’ambiance du titre "Romantic Warrior" de RETURN TO FOREVER avec un joli thème tournant au piano sur lequel viennent se greffer de multiples petites phrases des autres instruments. La partie 3 est techniquement prodigieuse, tant Chick emporte de ses traits virtuoses cette brillante nocturne latine exécutée en solo. La partie 4 enfin nous replonge dans une ambiance de feria, l’orchestre au complet y participe, notamment les cuivres parfaitement soutenus par des parties de batterie et percussions splendides. Chick joue un solo aux claviers avant de laisser le quatuor à cordes s’exprimer et finir le travail conjointement au piano. Il existe enfin un titre bonus "The Clouds" disponible sur les nouvelles version CD, jolie pièce acoustique lente et méditative sur laquelle un dialogue s'installe entre piano contrebasse et violon.

Nous voici à la fin de cet opus magistral qui coule parfaitement d’une seule traite, et constitue indéniablement un des sommets de la carrière de son concepteur. Le compositeur et l’interprète sont ici au sommet, et servent parfaitement un concept qui offre à Chick l’occasion d’exprimer toutes les facettes de son art. Comme vu ci-dessus, un effort est nécessaire pour surmonter certaines sonorités un peu datées, mais une fois cet obstacle franchi, c’est un disque qui ne vous quittera plus, comme il ne me quitte pas depuis de longues années. Il s’agit d’une œuvre culte que je conseille vivement à tous les mélomanes, à laquelle la note maximale revient de plein droit. El matador a réussi son coup.

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   ELK

 
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- Chick Corea (piano, claviers, synthétiseurs, percussions, claqu)
- Stanley Clarke (contrebasse, basse)
- Steve Gadd (batterie)
- Narada Michael Walden (claquements de main)
- Don Alias (percussions)
- Jean-luc Ponty (violon)
- Gayle Moran (voix)
- Quatuor à Cordes:
- Connie Kupka (violon)
- Barry Socher (violon)
- Carole Mukogawa (violon)
- David Speltz (violoncelle)
- Section De Cuivres
- Stuart Blumberg (trompette)
- John Rosenburg (trompette)
- John Thomas (trompette)
- Ron Moss (trombone)


- disque 1
1. Love Castle
2. The Gardens
3. Day Transe
4. My Spanish Heart
5. Night Streets
6. The Hilltop
7. The Sky
8. Wind Danse
- disque 2
9. Armando's Rhumba
- el Bozo
10. Prelude To El Bozo
11. El Bozo Part 1
12. El Bozo Part 2
13. El Bozo Part 3
- spanish Fantasy
14. Spanish Fantasy Part 1
15. Spanish Fantasy Part 2
16. Spanish Fantasy Part 3
17. Spanish Fantasy Part 4
18. The Cloud (titre Bonus)



             



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