Né en 1958 à Canberra, Frank GAMBALE est un guitariste de Jazz Fusion dont l’influence a irrigué des cohortes de guitaristes de tous styles et de plusieurs générations. Influencé par les grands guitaristes Blues Rock, notamment John MAYAL, Jimi HENDRIX ou Eric CLAPTON, il découvre le Jazz en écoutant notamment RETURN TO FOREVER. Etudiant au sein du prestigieux Guitare Institute Technology (G.I.T.) de Los Angeles, il y devient professeur, tout en entamant sa carrière qui se voit sérieusement boostée en 1987 après son recrutement par son idole, Chick COREA, pour son nouveau projet le CHICK COREA ELEKTRIC BAND. Mais Frank trace également sa propre voie, comme en témoigne ce live enregistré en août 1988 (de retour de tournée avec Chick) dans le club de Jazz le Baked Potatoe de la cité des anges. Accompagné entre autres par le formidable pianiste japonais Kei Akagi, le guitariste australien interprète six titres tirés de ses deux premiers opus en solo, dans un format totalement libre, pour nous livrer 64’33 d’une musique parfaitement décoiffante.

Le moins que l’on puisse dire est que le style de Franck ne peut laisser personne indifférent, certainement pas les légions de guitaristes amateurs qui se sont brûlés les doigts sur la fameuse technique dite du 'Sweeping' dont il reste le plus grand promoteur. Celle-ci consiste en gros à éviter de jouer des cascades de notes par aller et retour du médiator (plectre), mais au contraire de 'balayer' son manche de guitare dans une seule direction (montée ou descente) pour rendre le jeu à la fois plus rapide et fluide. Franck concède que si sa motivation première n’a jamais été la simple dimension technique de cette innovation (contrairement aux cohortes de shreddeurs qui l’ont reprise depuis), il lui a quand même fallu une bonne quinzaine d’années pour la maîtriser et être capable de produire enfin les séquences de notes qu’il avait en tête, autrefois réservées à des instruments plus adaptés (piano et saxo notamment) sans avoir l’impression de sonner comme une mitraillette. Attention d’ailleurs de ne pas cantonner le guitariste australien à cette seule dimension technique : il a innové et enseigné toute sa vie, étant devenu singulièrement expert dans les accordages alternatifs de son instrument et amateur de collaborations diverses et très variées, celle par exemple avec le guitariste classique italien Maurizio Colonna qui a donné vie à deux forts jolis albums.

Revenons à notre Live, enregistré à l’époque où l’irruption de Franck et son jeu fantastique ont fait l’effet d’une bombe dans la communauté guitaristique et Jazz. Son jeu alors était aussi flashy que sa chemise sur la pochette du disque (il a longtemps été expert des tenues improbables, notamment sur scène) ou la couleur de sa rutilante Ibanez (autre singularité pour un Jazzman). Sur un fond de technique Rock et Blues et d’un son légèrement saturé pour booster le sustain, Franck agrémente en effet son jeu d’une perfection rythmique ahurissante et d’un vocabulaire d’une étendue et d’une précision harmonique bluffantes. Ces capacités lui permettent de développer dans ce disque une musique extrêmement moderne, formellement totalement Jazz (développement d’un thème, solos, reprise du thème et fin) mais marquée par une grande richesse harmonique et rythmique, ses thèmes étant particulièrement sophistiqués et gorgés de rupture de tempos et d’intensité pour les rendre totalement captivants.

"Credit Reference Blues" qui ouvre l’album est ainsi une pièce très dynamique d’inspiration funk, pleine de fausses pistes et de rebonds et révélant un thème très élaboré et inspiré, drivé par la guitare de Franck à l’unisson avec le saxophone. Inutile de dire que la séquence des chorus décoiffe particulièrement : Franck démarre doucement en laissant l’harmonie dériver joliment avant d’accélérer et de développer ses ahurissantes techniques tout en restant néanmoins profondément musical. Kei Akagi n’est pas en reste, et les premières acclamations accompagnent nos prodiges.
Les autres titres ? Ils sont tous un peu sur le même moule, mais différents et passionnants, mention spéciale à "A Touch Of Brasil" pour ses accents latins, ses jolies percussions, sa grosse ligne de basse et son thème diaboliquement astucieux et entraînant. On ne voit pas passer les 16’12 du titre, les solos étant évidemment à tomber par terre. Mais j’adore également "Fe Fi Fo Funk" au gros slapping de basse en intro avant un nouveau thème à tiroirs parfaitement conçu et interprété, ainsi que "Spending Sunday with You" aux motifs plus légers et sereins sur un tempo apaisé et réhaussé de superbes accords de guitare aux accents un peu folk. "Spike’s Song" démarre comme une ballade avec de superbes leads joué à l’unisson par la guitare et le saxophone avant une accélération qui installe un joli groove. "The Natives are Restless" enfin est très rapide avec un petit motif rythmique à la guitare d’essence assez funk qui se prolonge sur l’ensemble du titre et une nouvelle belle prestation de la section rythmique qui offre aux solistes une parfaite base pour briller de mille feux.

Inutile d’en rajouter sur le brio de ce disque et de ses interprètes, c’est une forme de Jazz Fusion très novatrice qui nous était à l’époque offerte, tant par les sons et les styles abordés que par les ahurissantes capacités techniques de ses protagonistes. Mais ce qui traverse les ans, c’est aussi la cohésion et l’homogénéité de musiciens qui prennent un plaisir fou à interpréter ensemble dans un format très ouvert une musique fort bien conçue et pleine de rebonds et de surprises.

Relativement peu connu, cet opus est évidemment à conseiller avant tout aux amateurs d’une forme de Jazz Rock assez typée (les sons de claviers notamment peuvent être ponctuellement un peu datés) et aux fans de prouesses instrumentales, guitare en tête. Je suis incapable de prendre du recul sur une œuvre qui m’a accompagné depuis tant d’années et qui fait partie de mon panthéon de la guitare Jazz, mais je conseille à chacun d’y jeter malgré tout une oreille, il se peut que de belles surprises vous attendent.