Inlassable, infatigable, inarrêtable, indémodable et finalement incontournable et incomparable : les adjectifs ne manquent pas pour évoquer la fantastique carrière de ce musicien d'exception ! Et il semble que Pat accélère encore; à tout juste 70 ans, et un an après le superbe Dreambox, il nous revient avec Moondial, nouvelle oeuvre en solo interprétée cette fois sans overdubs et avec sa guitare Baryton à cordes nylon. Cet instrument, doté de cordes spécialement conçues pour subir les accordages sophistiqués de Pat, lui offre une palette sonore incomparable, des graves profonds, des médiums moëlleux et des aigus incisifs. Avec un tel instrument, Pat trouve une liberté propice à l'expression d'une inspiration toujours fertile, et nous offre une nouvelle oeuvre splendide.

S'il est aisé de considérer Moondial comme le troisième volet d'une trilogie 'baryton en solo' engagée en 2003 par One Quit Night et poursuivie en 2011 par What's It All About, ce dernier opus se distingue par les couleurs plus vives qu'il recèle. Si Pat reste dans un registre introspectif, souvent mélancolique et contemplatif, il ressort cette fois des treize compositions proposées une atmosphère distincte des ambiances nocturnes proposées dans les deux disques précités (la superbe et lumineuse pochette semble d'ailleurs d'emblée nous en avertir). L'exercice reste cependant celui qui permet à Pat d'installer les ambiances profondes et réfléchies, et de nous proposer des explorations mélodiques et intimes finement ciselées quels que soient les genres abordés.

Le regard de Pat se tourne cette fois largement vers l'Amérique du Sud, le Brésil en particulier. Ainsi le titre "Moondial" (et sa reprise en fin de disque) nous rappelle-t-il les plus belles heures de la Bossa Nova, une composition superbe qui s'inscrit d'emblée aux côtés des plus grands classiques d'un genre qui n'en manque pourtant pas. "La Crosse" est presque aussi splendide, plus classique mais encore très latine dans l'inspiration. On peut par exemple penser à une belle aube sur Rio avec le soleil qui apparaît peu à peu et vient doucement laver les derniers vestiges de la nuit carioca. "Angel Eyes", reprise très arrangée du crooner des 50's Matt Dennis, fait entendre dans le jeu de Pat une réminiscence des splendeurs des "Afro Sambas" de Baden Powell et Vinicius de Moraes pour un résultat assez fascinant.

Au rayon des reprises, citons le titre de Chick COREA "You're Everything", sorte de petite valse lente légèrement atonale qui se révèle doucement et joliment, et surtout le formidable "Here There And Everywhere" de Paul Mc Cartney, véritable bijou mélodique auquel Pat réserve un traitement des plus respectueux dans un premier temps, avant de se laisser aller à quelques prolongement harmoniques du meilleur effet, pour un rendu splendide. Le "Somewhere" de Leonard BERNSTEIN est accolé à "Everything Happens To Me", une belle compo de Pat dans une ambiance nocturne teintée de jolis accents bluesy.

Parmi les autres titres, "Shoga" est celui qui évoque le mieux les belles heures du PAT METHENY GROUP avec sa rythmique dynamique, sa progression harmonique typique, et finalement la belle invitation au voyage qu'il suscite. "My Love And I" nous fait penser au disque Beyond The Missouri Sky (short Stories) enregistré
en 1997 avec le contrebassiste Chalie Haden, les graves de la guitare baryton de Pat faisant parfaitement le job pour se substituer au jeu superbe du grand musicien disparu depuis dix années.

"We Can't See It But It's There" nous offre une montée en tension un peu énigmatique portée par des graves profonds au sustain impressionnant, alors que "Londonderry Air" nous propose après une intro très lente de partager les pensées profondes du voyageur dans un exercice très introspectif, relativement atonal et quasi évanescent. "Falcon Love" offre sur 7'13 une superbe et lente mélodie typique de l'art de composition de Pat pour un titre qui s'installe en prenant son temps et sur lequel l'Américain nous offre un jeu plein de finesse et de délicatesse qui dévoile par moments de jolis accents pastoraux. "This Belongs To You" enfin est un titre très libre, une belle toile aux couleurs pastel où l'harmonie semble flotter et se diriger tranquillement où elle le souhaite, sans effort ni contrainte.

Ce disque est une nouvelle offrande de choix de la part d'un musicien d'exception qui n'a aujourd'hui plus rien à prouver et que sa seule passion continue à porter et animer. L'exercice ne nous permet pas de retrouver le prodigieux improvisateur qu'est le natif du Missouri dans des formats plus orchestrés, mais nous entraîne dans une expérience sensorielle d'une grande cohérence, empreinte de beauté harmonique et de profondeur, et où l'émotion est omniprésente et dominante. Un tel disque gorgé de poésie mérite bien la sélection du site, rarement offerte à un disque de Jazz, et doit nous donner l'envie irrépressible d'aller une nouvelle fois l'écouter lors de son passage dans nos contrées courant Octobre. En attendant impatiemment la suite.