Il y a parfois des faits qui sonnent comme des évidences. Il en va ainsi de la musique gothique dans son acception la plus large et la moins sectaire. Son terreau est et demeurera naturellement l'Angleterre. C'est bien ce pays qui a donné naissance à ces projets les plus stimulants et qui depuis plus de quatre décennies continue contre vents et marées et au delà de toute mode à entretenir ce style. ADORATION s'inscrit donc pleinement dans ce processus qui est en définitive plus vivant, ou du moins moins moribond qu'il en a parfois sombrement l'air. Ce groupe n'a sorti qu'un seul album, mais il est le fruit de passionnés de l'underground en provenance directe de ces terres chéries d'Albion.

Évidemment, peut-être que le name dropping qui suivra pour le profane prêtera à sourire, mais il expose simplement au delà de toute hype la flamme qui brûle encore et toujours dans cette sphère. Au chant, l'auditeur se retrouvera ainsi face à la belle voix profonde de John Stone qui fut le manager de VOICES OF MASSADA et VENDEMMIAM, des combos qui jouèrent dans la cour des seconds couteaux, mais dans un espace qui suscitait toutefois de l’intérêt. Il entendra également le jeu inventif et subtil du guitariste Stephen Carey qui a officié dans THIS BURNING EFFIGY et surtout dans le superbe collectif que fut THE EDEN HOUSE. Si cette carte de visite est belle et attractive, fait-elle pour autant de Sleepwalking un album qui mérite un arrêt ? La réponse est sans équivoque : oui !

Alors pourquoi ADORATION et ce malgré cette unique production se retrouve dans le haut du panier gothique ? Je crois que ceci tient pour une bonne part à la richesse des ambiances développées qui vous emmènent dans d'autres mondes. S'il faut deux-trois repères car il en faut toujours, les échos de CURE période Disintegration pour les guitares et de MISSION pour ces envolées lyriques en seront les balises éloignées. Pour le reste, les Anglais se suffisent largement à eux-mêmes. Ils ont ainsi réussi à tisser le plus souvent de longues plages atmosphériques amples et variées qui ne procurent non pas de l'ennui mais plutôt un plaisir certain. Si l'ensemble est cohérent, Sleepwalking a toutefois la saveur agréable de la diversité.

ADORATION pratique ainsi sans effort particulier en apparence l'alternance de morceaux frontaux et de plages plus contemplatives. A l'image des excellents "Broken Sky" et "Closure", toute basse et guitare aérienne en avant, il ne craint pas par moments de sortir l'auditeur de sa sombre torpeur. Je vous rassure, ce n'est pas du metal, mais un gothique qui opte pour une palette aux couleurs douce- lumière. Cette fausse simplicité est assurément le gage d'un certain talent. Les Anglais vous enveloppent ainsi de leurs légères brumes. A l'instar de l'élancé "Same As It Ever Was" ou du plus lancinant "Cold" le groupe sait prendre son temps pour tisser des ambiances qui possèdent leur propre identité. Le conclusif "Fade Away" et ses effluves irlandais du plus bel effet avec guitares liquides vous emmènent ainsi directement dans un espace où le temps semble suspendu. C'est beau et bien fait.

Vous l'avez donc bien compris. Sleepwalking est un excellent album de rock gothique qui ne craint pas parfois de se faire moins abrasif et brûlant. Il est simplement triste qu'ADORATION se soit envolé aussi vite. Un seul album, tant de possibilités et quelques regrets.