90 ans au compteur et 151ème album selon le site Texas Monthly (75 pour d'autres). Cent concerts par an et 2024 ne fait pas exception à la règle. Des chiffres qui en jettent. À l'inverse de Dolly PARTON, qui s'est lancée dans la revisitation de standards du rock avec leurs interprètes originaux (cf. ma chronique sur l'album Rockstar de cette grande dame), Willie NELSON revient aux racines mêmes de la Country dans le bien nommé (?) Bluegrass. Une espèce de paradoxe dans la mesure où l'intéressé avait développé un courant anticonformiste (the 'outlaws') face aux dictats du son Country de Nashville, durant les années 60, fédérant avec lui, entre autres, les talents de Waylon JENNINGS, Kris KRISTOFFERSON, ou même Johnny CASH, quatre pointures réunies au début des années 80 sous le pseudonyme de HIGHWAYMEN.

12 titres pour 44 minutes de musique, avec des interprètes hors-pairs pour accompagner une voix qui semble n'avoir jamais cessé d'être la même depuis près de 70 ans qu'il chante. Rien que cela est impressionnant. Mais un disque, c'est avant tout des chansons et de la qualité de ces chansons vient l'encensement ou les gémonies. Alors, quand bien même le respect et l'admiration doivent être de mise face à ce monument, que vaut réellement le dernier-né de Willie NELSON (accessoirement, le second de l'année 2023 et le sixième depuis 2020) ?

Déjà, le son. Doté d'une production de haut niveau, où chaque instrument se détache de l'autre, le disque est déjà un plaisir pour les oreilles. Willie NELSON, en l'espèce, n'invente rien. Mais il est aisément reconnaissable. Par sa voix, déjà, nasillarde et identifiable entre mille, et la qualité d'écriture. Mais là où ça devient très intéressant, c'est qu'il s'agit de son tout premier album dans ce style si particulier du Bluegrass (dont le nom est tiré de la formation initiatrice du genre, Bill MONROE and the Bluegrass Boys). Et, incontestablement, c'est une réussite même si une réserve se manifeste que je préciserai tout à l'heure.

Déjà parce qu'il est accompagné d'un casting de stars comprenant entre autres les principaux membres d'UNION STATION, le groupe d'Alison KRAUSS, à savoir le contrebassiste Barry Bales, le joueur de banjo Ron Block et le virtuose multicordes Dan Tyminski (vous savez, le joueur de guitare de la bande originale du film O' Brother) qui ne joue ici que de la mandoline, plus Rob Ickes (dobro), Aubrey Haynie (violon), Josh Martin (guitare acoustique), Seth Taylor (mandoline), Bobby Terry (guitare acoustique, guitare à cordes en boyau) et Mickey Raphael à l'harmonica.

Ensuite, certaines chansons pourront vous paraître familières ? C'est normal, il s'agit de revisitations dans ce style particulier de vieux standards que l'Outlaw a composés durant sa carrière. Composés ou co-composés comme "Bloody Mary Morning" qui avait marqué en 1970 une des nombreuses collaborations avec Waylon JENNINGS. Mais d'autres réussites majeures sont à signaler : "No Love Around", "A Good Hearted Woman" (autre collaboration avec JENNINGS), "Slow Down Old World", "Still Is Still Moving To Me" et l'incontournable "On the Road Again" (non, pas le titre de CANNED HEAT, non pas celui de Bernard LAVILLIERS et encore moins celui de Robert ZIMMERMANN).

Mais s'agit-il vraiment de Bluegrass dans ce disque ? Même si toutes les chansons sont habillées d'instruments acoustiques, les puristes pourraient rechigner à les qualifier ainsi. On est loin, en effet, des chansons et instrumentaux de la paire SCRUGGS / FLATT. Loin aussi des enregistrements de Ricky SKAGGS avec son groupe, The Kentucky Thunder. Loin en raison du fait que ces chansons sont avant tout des chansons de Country et que banjos et mandolines ne font que leur donner une coloration faisant penser aux Appalaches, sans n'être autre chose que des artifices de production. Les musiciens ont beau être excellents, ils ne sont 'que' des accompagnateurs sur les titres chantés par Willie NELSON. Pas plus. Et cela peut être regrettable parce qu'un peu de folie aurait pu faire de ce disque un incontournable. Par ailleurs, le choix des titres peut être discutable : les titres lents tels "Somebody Pick Up My Pieces", "Yesterday's Wine", "Home Motel" ou "Sad Songs and Waltzes" se prêtent mal au genre. Alors, certes, leur traitement n'a pas à rougir en terme de qualité. Cependant, ils ne correspondent pas vraiment au style affiché à travers le titre du disque. Il y a en quelque sorte arnaque sur la marchandise sauf sur "Still Is Still Moving To Me" qui collerait le mieux au style.

Ne croyez pas, pourtant, que je vais descendre ce disque malgré cette légère déception. En effet, Willie NELSON a sorti un excellent Best Of en réorchestrant ses grands standards. Et les 44 minutes passés en sa compagnie ne sont pas des minutes inutiles. Elles demandent d'y revenir, ce qui est, me semble-t-il, un gage de qualité. Donc, n'hésitez surtout pas à vous plonger dans un de ses nombreux disques, celui-ci pouvant être une excellente porte d'entrée dans l'univers du Highwayman et, pourquoi pas, dans ceux de ses condisciples cités plus haut.

En tout état de cause, je ne saurais mettre moins de 4/5 à ce remarquable disque de country.