J’ai eu le bonheur de découvrir l’oeuvre de Ben FROST grâce à deux séries : la première est la germanique Dark, aux ambiances futuristes assez originales, et la seconde Raised By Wolfes, une merveille science fictionnaire qui ne put continuer faute de budget. Dans les deux cas, les créations de FROST étaient de tout premier ordre, laissant place à un patchwork d’une créativité débordante. Un bref coup d’oeil à son parcours et je constate que notre homme aime le Black Metal et le Punk, qu’il a travaillé avec SHELLAC et les SWANS. Nous allons donc intégrer de l’expérimental à tout crin dans cette discographie, voilà qui est prometteur. Scope Neglect est son premier opus depuis sept longues années. La pochette est sublime, et je ne vous surprendrai pas en disant que ce créateur vit à Reykjavik, dans ma chère Islande, depuis près de 20 ans.

L’introductive "Lamb Shift" a le mérite de poser les bases : une rythmique de gratte lourde, massive qui prend tout l’espace, plus percussive que mélodique, et des sequencers qui ornent cette base stressante, comme un compte à rebours vers l’armaggedon. On l’imagine aisément en compagnie de Olafur ARNALDS à créer des landscapes soniques pour décrire l’Islande tellurique. Les grattes accordées plus bas prennent le pouvoir sur "Turning The Prism" et frappent l’espace-temps plus qu’elles ne jouent alors que les synthés ne parviennent pas à gagner en cohérence. On se croirait dans Dark. Le beat syncopé de "The River Of Light And Radiation" est ce qui s’approche le plus d’une composition classique. Il ne manque que le sax pour émuler SHINING, ça reste synth en diable avec des claviers aériens qui illustrent le titre à merveille.

Le mélange synth et Metal de "Tritium Bath" devient presque dérangeant, quand la gratte hésite presque à continuer de tronçonner, alors que les notes percussives continuent de s’égrener et que les nappes de claviers fusent. C’est délétère et douloureux, à l’image des murs soniques que le compositeur a l’habitude de créer. C’est peu propice à une réflexion positive, mais très à l’heure de décrire la marche chaotique du monde. Notez que je n’ai pas dit 'en avant'. La guitare rugit de plus belle sur la deuxième partie, comme si le seul chaos devait l’emporter, plus percussive que réellement mélodique, il y a du MESHUGGAH mais aussi des collègues islandais de AGENT FRESCO, j’y retrouve la complexité des structures rythmiques, le titre de l’album.

La rythmique de "Unreal In The Eye Of The Dead", hypnotique et cadencée, sonne telle une B.O, tandis que "Chimera" nous renvoie à des bases technoïdées où l’angoisse et le néant semblent se frôler. Ben semble mener un combat pour sa propre survie lorsqu’il crée sa musique. Nous avons les nappes de claviers associées aux bruits sur "1993"… année où Ben avait 13 ans et a probablement ressenti ses premières pulsions créatrices pour la musique. Le son de "Load Up On Guns, Bring Your Friends" devient torturé, bruitiste et seuls des sequencers maladifs se font entendre. Etrange comme la terre si vivante de l’Islande est pour autant d’artistes un territoire de choix pour mettre en musique les sensations qui les habitent.

Il y a du magma dans cette musique comparable à nulle autre. Sur cet opus, Ben FROST se fait plus illustrateur sonique que réellement compositeur, c’est une base descriptive pour mettre en son des images d’une forte puissance évocatrice. On jouxte la folie et le néant par moment, ce qui rend cette musique relativement inaccessible, mais hautement addictive. Cela doit se juger sur la durée, je suis pour le moment sur un 3 certes sévère mais révélateur de la complexité de l’ensemble.