ARZACHEL ou une brève parenthèse aussi tumultueuse que l’époque dans laquelle elle a pris sa source.

Nous sommes en 1968, à la City of London School, et un jeune groupe de blues vient tout juste de terminer un set composé majoritairement de reprises de CREAM, John MAYALL ou Jimi HENDRIX. Il ne le sait pas encore, peut-être l’espère-il secrètement au fond de lui-même, mais il ne tardera pas à jouer un rôle musical majeur. Pour l’instant, l’organiste Dave STEWART, le bassiste/chanteur Mont CAMPBELL, le guitariste/chanteur Steve HILLAGE et le batteur Clive BROOKS se font appeler URIEL.

Après la découverte du psychédélisme et sa pleine intégration dans le jeu du collectif, HILLAGE quitte ses collègues pour tenter sa chance à l’université. Le trio restant décide de poursuivre sa carrière et s’engage avec Decca, le label le persuadant d’adopter un nouveau patronyme, EGG. Il est ensuite approché par un mystérieux duo : le propriétaire d’un studio à Denmark Street Peter Wicker et un homme d’affaires étranger nommé Zackariya recherchant pour son entreprise un groupe psychédélique pouvant enregistrer du matériel inédit en vue du retour immédiat sur investissement. Les obligations contractuelles avec Decca, ajoutées au retour inattendu d’HILLAGE les oblige à trouver un nouveau nom provisoire : ARZACHEL, intitulé d’un cratère lunaire, ainsi nommé en hommage à un astronome espagnol médiéval. Pour plus de sûreté, et bien avant les black métalleux, les musiciens se créent même des pseudonymes délirants : par exemple, Steve HILLAGE devient Simon SASPARELLA !

Le disque a été gravé extrêmement rapidement, ne nécessitant qu’une simple session, et sortit seulement via un label confidentiel dont la durée de vie s’avéra limitée, ce qui augmenta sa côte et rareté. Mon propre exemplaire physique provient ainsi d’un petit disquaire de Copenhague que je ne saurais absolument plus situer, assez foutraque, tenu par un passionné ayant vu les BURNIN RED IVANHOE – groupe danois psychédélique culte qui faisait l’objet véritable de ma visite dans cette échoppe – jouer en public gratuitement dans un parc de la ville quand il était jeune.

Secondé par une production approximative et plutôt crue, ARZACHEL livre une musique à mi-chemin du psychédélisme et du rock progressif, où le blues reste cependant encore bien présent. On est en quelque sorte sur un gué précaire : l’instrumental "Queen St. Gang" emprunté au "Funky Fanfare" signé Keith MANSFIELD préfigure les travaux à venir d’EGG quand le blues acide proposé par "Leg" et devant beaucoup à Robert JOHNSON convoque le jeune URIEL pas si lointain. HILLAGE y livre un solo extraverti et flamboyant, comme sur le magique "Garden of Earthly Delights", superbe morceau psyché pop rappelant WHO ou SOFT MACHINE.

Mais déjà entraperçu sur le lysergique "Azathoth", intitulé emprunté à une créature tirée de l’œuvre de Lovecraft et surnommée le sultan des démons et son monstrueux solo d’orgue, les prophéties clairement exprimées via un menaçant "Clean Innocent Fun" deviennent réalité sur "Metempsychosis", un morceau-fleuve d’un quart-d’heure faisant évidemment sortir les buvards, une jam enfiévrée aux échos de "Interstellar Overdrive", pièce maîtresse du PINK FLOYD époque Syd BARRETT qui pouvait atteindre les quarante-cinq minutes en live. Après un bref break à la basse seule, la pièce reprend ses hostilités pour un final mémorable : l’orgue hurle, la guitare plaque rageusement ses notes, la batterie martèle. Un chaos concluant un album aussi enfumé que sa jaquette peut raisonnablement le laisser penser et qui n’aura aucune suite. STEWART retrouvera HILLAGE au sein de KHAN quelques années plus tard, après l’échec commercial de l’aventure EGG pourtant non déniée d’intérêt.

3.5/5