Quitte à se répéter, il n'est jamais trop tard pour entamer une carrière, quand bien même une sous son propre nom, écartée de celle, longue comme le bras, consacrée à accompagner d'autres, surtout un. L'année où Garry TALLENT a commencé de jouer avec Bruce SPRINGSTEEN, c'était en 1971. Celle où il signe son premier album à lui, Break Time, c'est 2016, soit quarante-cinq années plus tard ! Et contrairement à son camarade Roy Bittan qui l'avait devancé de peu, il se complaît bien dans l'exercice, au point de donner un successeur dans un délai 'à peine' de trois ans supplémentaires : More Like Me en 2019.

Un titre énigmatique, puisque le fait d'aborder les racines du rock'n'roll sur Break Time, en accord avec ses goûts, lui convenait fort bien. Mais ici, Garry Wayne TALLENT aborde plutôt sa jeunesse adolescente au milieu des années soixante, quand il était friand de Buddy HOLLY, mais également de pop et de garage-rock. La production est confiée à Bill Schnee, lui aussi venu du New Jersey pour s'installer à Nashville, Tennessee, et sur le plan instrumental, TALLENT bosse avec les frères Delevante du groupe The DELEVANTES qui pratique un country-rock remarquable depuis vingt ans dans le Garden State. Une réunion de Jersey boys dans la ville de la guitare !

Ce qui est certain, c'est que More Like Me suscite tout autant la sympathie que son prédécesseur. Toujours bien identifiable avec son timbre vocal à la fois un peu graisseux et agréable, on sent que l'expérience 2016 a permis à Garry W. TALLENT de prendre de l'assurance de ce côté, lui permettant d'offrir la musique la plus accessible et décontractée que peut offrir un membre du E STREET BAND en solo. Bien aidé par les DELEVANTES, on a affaire à un grand ado de 70 ans qui nous promène allègrement avec des formats de chansons pop 60's (entre deux et quatre minutes par titre) avec des textures doo-wop, folk-rock ponctuées de guitares garage nerveuses. Un beau complément à ce que propose alors LITTLE STEVEN, comparse de longue date de la rue E.

Le début avec "Above the Rain" est sacrément bien balancé, avec TALLENT crooner (rauque aussi bien qu'élégant) au chant pour une mélodie passionnée portée par un shuffle blues appuyé, une pop au rythme martial, des choeurs efféminés et léchés. À l'autre bout du disque, qui ne dure qu'une bonne demi-heure, "More Like Me" garde le même rythme et le rend plus roulant, plus proto-punk dans l'âme aussi (un certain Joe Strummer l'aurait sans doute apprécié), mordant ce qu'il faut avec une guitare lead inspirée. Et l'on sent, après un premier album solo où il favorisait ses premières aspirations juvéniles de guitariste rock en herbe, combien notre cher Garry est heureux de dégainer sa basse à nouveau, celle qui l'a fait connaître et intégrer le meilleur groupe rock qui soit.

C'est d'ailleurs non sans émotion que l'on écoute "Oh, No (Another Song)", ballade country nostalgique qui est un peu son "4th of July, Asbury Park (Sandy)" à lui, accordéon compris, sans le lyrisme du Boss mais toujours avec cette verve cool, relâchée, décidément adoptée par mister TALLENT en solo. Dans un autre genre, il offre "Too Long" où l'orgue Farfisa rejoint la basse en walk, très frais et sympa avec ses choeurs doo-wop, de même que "If It Ain't One Thing (It's Another)", pop rétro d'une efficacité en diable, qui sied fort bien au chant de Garry W. L'album s'écoute ainsi comme on boit du petit lait.

Le blues torride "Sinful", "One Good Reason" avec ses accents hispaniques notamment dans les percussions, le rockabilly "Dirty Rotten Shame", son orgue de poche autant que ses guitares graves, ainsi que "No Sign of Love", soigné et plus springsteenien garni de résonances de sitar, jouent tous bien la carte directe de la séduction à leur manière, y compris dans leurs paroles. "Tell the Truth", à l'ambiance californienne et à la 12 cordes électrique à la BYRDS, aurait carrément fait un bon tube, dans les années 60 mais pas que. En bref, c'est donc un nouveau petit plaisir que s'accorde Garry TALLENT et qui nous le transmet comme il se doit, tout à fait à la hauteur du sympathique et essentiel musicien qu'il demeure. Bien que confidentiel et noyé dans la scène rock américaine, il est bon de le découvrir, d'y revenir.