L’émergence de la scène punk à la fin des années 70 a renforcé la conjugaison entre musique et politique. Rien d’inédit à cela, cet art étant propice à faire passer des messages, on a pu l’observer dès les protest songs de DYLAN par exemple. Malgré tout, psychédélisme et progressif avaient quelque peu changé la donne en proposant un contenu lyrique plus onirique et moins ancré dans la réalité, n’hésitant pas à s’immerger entièrement au sein d’une œuvre littéraire, même si le mouvement hippie en lui-même gardait une conscience marquée, s’indignant à juste titre sur la guerre au Vietnam tout en rêvant à un monde plus juste.

Si l’on se risque au jeu des comparaisons, tentons de dire que les punks ont radicalisé la vision anarchiste des hippies, tels les groupes de la première vague, comme les CLASH, qui étaient engagés dès le départ et bientôt rejoints par CRASS et la majeure partie des groupes dits anarcho-punk. Ces formations appuyaient là où cela faisait mal et l’Establishment, intimidé, commençait à en prendre bonne note. Elles faisaient face à un mouvement fasciste se structurant et augmentant sa base, les skinheads faisant la bascule à droite, y compris via certains groupes comme SKREWDRIVER qui, après une première vie apolitique et somme toute classiquement punk – débouchant sur un disque non dénué de qualités mais cela sera difficile d’en toucher mot vu le pedigree de la bête – se reforma sous une portée ouvertement nationaliste. Tout cela aboutissait à des affrontements de rue entre les deux parties.

Selon un de ses fondateurs Roger Huddle, Rock Against Racism demeura une simple idée jusqu’aux propos racistes tenus par un Eric CLAPTON ivre lors d’un concert à Birmingham, soutenant sans vergogne l’ancien ministre conservateur Enoch Powell et hurlant plusieurs fois un slogan cher au National Front. Répondant également à une interview controversée de David BOWIE, le concept se concrétisa finalement avec deux festivals en 1978 à Londres rassemblant près de 90000 personnes, notamment au Victoria Park où jouèrent STEEL PULSE, X-RAY SPEX et, bien évidemment, les CLASH, nouvelle preuve de l’implication profonde de Joe STRUMMER au sein de combats qui lui étaient chers.

Avec le temps et malgré le démantèlement de son gang, l’engagement du guitariste/chanteur ne faiblit pas. Ainsi, lorsqu’en novembre 2002 certains membres du syndicat des pompiers britanniques (Fire Brigades Union), s’étant mis en grève nationale pour 48 heures par suite d’un différend salarial le contactent, il n’hésite pas une seconde à apporter sa pierre à l’édifice. Un concert de soutien est alors rapidement monté le 15 novembre 2002 à Acton Town Hall, Joe s’y produisant accompagné de son groupe actuel les MESCALEROS, formation réunie en 1999 comptant deux albums à son actif et ayant déjà déploré quelques mouvements de personnel. Cet appui est le bienvenu, qu’il soit moral, l’Establishment et les médias de droite anglais ayant vilipendé l’action des pompiers intervenant en pleins préparatifs de la guerre en Irak et de menaces fortes d’attentats mais également pécuniaire, Joe ayant insisté pour que tous les bénéfices du spectacle agrémentent la cagnotte des grévistes.

STRUMMER et son groupe livrèrent un show généreux où le plaisir de jouer transpirait allègrement, étant ainsi fidèles à eux-mêmes. Le concert débuta par le superbe "Shaktar Donetsk", contant le périple d’un Macédonien portant l’écharpe du célèbre club de foot ukrainien et cherchant à rejoindre l’Angleterre clandestinement coûte que coûte, notamment afin de voir Wembley. Nostalgique, la pièce colora la salle d’un vernis gypsy qui se poursuivit via d’autres titres extraits de Global a Go Go ou sur un "(White Man) In Hammersmith Palais" agrémenté d’une improvisation finale avec violon du plus bel effet. Autre chanson sportive remarquable, "Tony Adams" égaya son reggae d’un superbe solo de saxophone.

Les chansons sélectionnées allèrent jusqu’à certains classiques des CLASH, dont certains morceaux évidemment fortement engagés tels "Police on My Back", "Police & Thieves" ou le rappel incendiaire "White Riot/London’s Burning" suivant un inoubliable "Bankrobber" sur lequel Mick JONES rejoignit son ancien camarade, comme si les deux hommes reprenaient les affaires là où ils les avaient laissées vingt ans auparavant. Le projet fut d’ailleurs esquissé après le spectacle, mais le décès soudain de Joe STRUMMER un mois plus tard mit fin à ces rêves.

Triste anecdote, Live at Acton Town Hall s'avéra donc l’avant-dernière apparition publique de STRUMMER. Sortie dans le cadre du Record Store Day en 2012, la bande fut enfin rééditée au format CD courant 2023, permettant de redécouvrir des versions inédites de "Get Down Moses" et "Coma Girl" dévoilées à cette occasion, parmi les plus belles pièces composant l'album ultérieur malheureusement posthume Streetcore.

3.5/4 arrondi à 4.