Au cours des 50 dernières années, Phil MOGG aura eu un job : celui de chanteur au sein du groupe UFO, dont il aura été le seul dénominateur commun, liant toutes les tumultueuses incarnations de la formation britannique. Pour le natif de Londres, la vie aura été une successions de tournées autour du monde, de succès massifs et de déconvenues qui, malgré certains coups d'éclat parfois peu glorieux, n'auront guère entaché la réputation d'un groupe qui laisse derrière lui quelques pépites que l'on espère intemporelles ("Doctor Doctor" et "Rock Bottom" seront-ils toujours des classiques dans 20, 30 ou 50 ans ?)

Initiée en 2019, la tournée d'adieu du groupe, intitulée "Last Orders", connait une fin abrupte à l'été 2022, Phil MOGG étant victime d'une crise cardiaque qui provoquera la cessation de toute activité et mettra un point final à la carrière des vétérans anglais. Interrogé au sujet d'un retour sur scène avec son groupe, le chanteur âgé de 76 ans, depuis rétabli, déclare : "Je ne pense que cela puisse se faire, les étoiles ne sont pas alignées, et ce serait trop difficile".

Pour autant, la fin d'UFO n'est pas une fin de vie ni une fin de carrière pour le père Phil, qui fomente depuis 2021 la réalisation d'un premier album solo. A l'âge où les artistes sont plus nombreux à raccrocher les crampons qu'à se lancer dans une nouvelle escapade créatrice, l'abnégation du chanteur a de quoi surprendre. Ce n'est pas la première fois que l'artiste publie de la musique sous un autre nom que celui d'UFO (notons par exemple le projet $ign of Four en 2002 ou les deux albums de Mogg/Way publiés à la fin des années 90). Néanmoins, n'allons pas chercher ici quelque profonde remise en question ou reconversion artistique : l'identité UFO n'est jamais très loin.

Pour l'accompagner, Phil a fait appel au bassiste et producteur Tony Newton du groupe de hard rock anglais VOODOO SIX, qui emmène dans ses bagages le batteur Joe Lazarus et le guitariste Tommy Gentry. Pour compléter le line-up, le bassiste et claviériste Neil Carter vient apporter un petit aire supplémentaire d'UFO à l'ensemble, lui qui a fait partie de la formation au début des années 80 et qui, en 2019, a réintégré le groupe après le décès de Paul Raymond.

Mogg's Motel se présente assez rapidement comme un album de hard rock sombre et musclé, porté par des titres essentiellement mid-tempo dont la recherche mélodique peut évoquer un amalgame entre le UFO période Vinnie Moore et celui, plus torturé, de la première moitié des années 80. Présenté comme cela, nous sommes sur le papier loin de la flamboyance de l'époque Schenker (qui, hasard du calendrier, publie en même temps un album de reprises de ses meilleurs titres enregistrés avec UFO). Pour autant, l'album bénéficie d'une classe évidente, apportée par la qualité d'interprétation et le charisme naturel de Phil Mogg, dont la voix n'a pas bougé malgré le poids des ans. Sur le puissant morceau d'introduction "Apple Pie", c'est flagrant : le chanteur se fait à la fois théâtral et mélodique, et transcende ce titre hard rock par ailleurs porté par des guitares explosives et très audacieuses.

C'est d'ailleurs ce qu'on aime sur Mogg's Motel : cet album prend le temps de déployer ses ambiances, et de laisser un large espace d'expressions aux guitares, quitte à ce que les morceaux s'étendent parfois sur plus de cinq minutes là où trois auraient suffi à d'autres. Ce hard rock bluesy n'a rien de moderne ou de contemporain, et seuls quelques éléments discrets peuvent le différencier de l'identité UFO, à l'image de la présence remarquée d'une chanteuse venant épauler Phil sur l'énergique "Sunny Side of Heaven". Passées ces têtes de gondole, l'album se fait plus nuancé, et aux titres hard rock directs et sombres ("I Thought I Knew You", "Wrong House") se mêlent quelques blues lancinants ("Face of an Angel", "Other Peoples' Lives"), ainsi que quelques pièces plus mélodiques qui réaffirment si cela était nécessaire le talent d'interprète de Phil Mogg ("Princess Bride", "Storyville").

Le résultat est intéressant, si on accepte de mettre de côté le fait que Phil MOGG n'apporte ici rien de vraiment neuf, et alimente son moulin avec des eaux recyclées qui certes, le font tourner avec efficacité, mais ont comme un goût de redite. Il est évident que ceux qui ont du mal à se remettre de l'absence d'UFO auront ici de quoi se satisfaire. Malgré sa qualité d'interprétation, Mogg's Motel manque malgré tout d'un brin d'audace et de nouveauté. Phil MOGG, avec son espièglerie et son éternel œil qui frise, nous donne néanmoins à savourer une nouvelle preuve de sa vitalité retrouvée, et c'est bien là l'essentiel.