Dans le classement des pionniers injustement oubliés de la new-wave, Thomas LEER occupe l'une des premières places, au même titre que son camarade Robert RENTAL d'ailleurs, dont la courte discographie a déjà fait l'objet de chroniques en ces pages. Débarqués à Londres en 1971, nos deux compères ont d'abord tenté leur chance au sein d'une communauté hippie d'Hammersmith, avant de repartir quelques temps plus tard vers leur Écosse natale, sans être parvenus à monter un groupe. C'est finalement l'explosion punk qui les rappelle sur les bords de la Tamise en 1977. Ils louent alors un appartement à Battersea et commencent à composer avec les moyens du bord, une guitare, une basse, une boîte à rythme et un Stylophone. On les retrouve ensuite au sein d'une obscure formation locale baptisée Pressure, mais Thomas et Robert se lassent rapidement du punk-rock. Influencés par KRAFTWERK et CAN, tous deux veulent intégrer l'élément électronique à leur musique, sans pour autant trahir l'esprit do it yourself de la musique punk. Leur collaboration aboutit à la sortie d'un unique album en 1979, l'excellent The Bridge, œuvre séminale et essentielle du paysage musicale britannique de la fin des seventies.

Avant cela, nos Écossais avaient pris soin de sortir chacun un single, Paralysis pour Robert RENTAL et Private Plane / International pour Thomas LEER. Concernant ce dernier, il s'agit sans doute d'un des disques les plus importants de cette première vague post-punk/new-wave, aux côtés de T.V.O.D./Warm Leatherette de The NORMAL. Production maison oblige, Thomas s'occupe de tout ou presque, instruments, voix et enregistrement. Seule la distribution est confiée à sa compagne d'alors, Liz Farrow, et le single sort chez Oblique Records, label éphémère créé pour l'occasion. Pressé à seulement 650 copies, Private Plane/International réussit l'exploit d'être nommé Single of the Week par NME, bien aidé par John Peel qui le programme dans son émission.

Pop minimale et industrielle, "Private Plane" est une petite merveille, simple mais terriblement envoûtante. Contrairement à ce qu'on peut parfois lire à son sujet, ce morceau a été enregistré sans aucun synthétiseur. Outre la basse et la boîte à rythme, Thomas LEER bricole ici des sons avec le Stylophone que lui a gentiment prêté Robert RENTAL, en plus de quelques pédales d'effets. La légende affirme aussi que s'il chante si faiblement, c'est tout simplement pour ne pas réveiller sa copine qui dormait alors à côté. Il faut dire qu'à l'époque, le bonhomme n'avait que sa chambre pour travailler ! En face B, "International" ajoute une guitare électrique à la formule, sans pour autant céder à nouveau aux sirènes du punk-rock. Au contraire, il s'agit ici d'une espèce de synth-pop archaïque, au demeurant pas toujours très juste, assez attachante cependant, surprenante même avec son final un peu plus aérien.

Private Plane/International est une première œuvre vraiment à part dans la discographie de Thomas LEER, qui ne fera plus rien de tel par la suite. Son premier E.P, 4 Movements, qui sort chez Cherry Red en 1981, inaugure l'ère d'une new-wave plus sophistiquée, plus lisse et plus commerciale aussi selon certains, abandonnant de fait l'esprit DIY des débuts. Aujourd'hui tombée dans l'oubli, "Private Plane" est pourtant une chanson qui en a marqué plus d'un à sa sortie, morceau mystérieux et obsédant selon Matt Johnson de THE THE, le début de quelque chose de nouveau pour Daniel Miller. Un titre donc, selon la formule consacrée, à redécouvrir d'urgence.