En janvier 1978, Elton Dean et Hugh Hopper, ayant respectivement quitté SOFT MACHINE en 1972 et 1973, forment le supergroupe éphémère SOFT HEAP, accompagnés de deux membres de NATIONAL HEALTH, Alan Gowen et Pip Pyle. Sous la pochette la plus disgracieuse de cette école de Canterbury, se dévoilent des compositions difficiles d’accès à l’écriture froide, qui ne parviennent pas à se détacher de ce que faisait autrefois SOFT MACHINE, sans pour autant atteindre la même homogénéité, ce qui rend l’écoute de cet album parfois contraignante. Les capacités techniques des musiciens ne sont pas à incriminer, mais nous étions en droit d’attendre davantage de cette formation.

On ressent dès le titre d’ouverture le son et l’ambiance de SOFT MACHINE avec un thème à la fois pesant et mélancolique, dû aux harmoniques naturelles sortant de la basse d’Hugh Hopper et aux envolées d’Elton Dean au saxophone alto. Cette composition brillante est aux antipodes du titre suivant, à l’écriture totalement libre et où le groupe expérimente différents thèmes et ambiances particulièrement indigestes, et pas uniquement pour les non-initiés. Il est difficile d’y percevoir de la musicalité et on pourrait légitimement se demander si les membres du groupe ont écouté le résultat final. Le titre aurait toutefois dû nous mettre sur la voie, car il est l’abréviation anglaise de 'Absent without official leave'. Heureusement pour l’auditeur, s’en est terminé des élucubrations musicales sur "Petit 3’s", avec une structure usinée, bien que Pip Pyle se montre légèrement insistant sur les cymbales Charleston. La composition ne parvient cependant pas à atteindre le stade de pièce maîtresse de cette école de Canterbury.

L’inspiration ne décline pas sur "Terra Nova" où l’alchimie entre les membres du groupe est perceptible mais où l’on regrette toutefois que certains thèmes soient sous-exploités. La construction de "Fara" est plus conventionnelle, ce qui est somme toute assez rare dans ce mouvement. Rien de transcendant ou de novateur ici, mais l’atmosphère est empreinte de nostalgie. On imagine bien Travis Bickle conduire son taxi dans les rues de New York, tard la nuit. "Short Hand" qui clôt l'album a plus valeur de démo technique qu’autre chose, notamment pour Elton Dean. Tant qu’à faire dans la démonstration, je vous conseille l’écoute de "Seven for Lee", tiré de l’album live Rogue Element paru un an avant le seul et unique album studio du groupe. Pour l’anecdote, le nom du groupe n’était pas Soft Heap mais Soft Head. En effet, "Soft" est repris de SOFT MACHINE, mais "Heap" est la contraction des initiales des prénoms Hugh, Elton, Alan et Pip. Hors, ce n’est pas Pip Pyle qui tenait la batterie en 1978, mais Dave Sheen, étant accaparé à enregistrer le second album de NATIONAL HEALTH.

C'est un album excentrique, dont l’héritage serait très différent s’il contenait une pièce maîtresse, comme peut l’être "Seven For Lee", et s’il ne se perdait pas dans certaines aberrations. Un mot sur Elton Dean : si l’on excepte la dernière piste, son saxophone idiosyncrasique est remarquable et vraiment inspiré. Mis à part l’immense John Coltrane, sans qui l’école de Canterbury n’existerait pas (!), peu de musiciens peuvent se targuer d’être plus compétents au saxophone alto. Nonobstant cela, sa présence luxuriante phagocyte quelque peu les compositions de ce groupe, notamment lorsque celles-ci ne sont pas au service de la musicalité.