« Pendons les écologistes pendant qu’il reste encore des arbres ! » Cette sentence pourrait résumer à elle seule l’humour de Didier SUPER. Ce mélange inextricable de provocation et de dénonciation qui fait que, selon que l’on écoute son œuvre au premier ou au second degré, la compréhension de son propos peut être diamétralement opposée. A ce titre, Didier SUPER pourrait (devrait ?) être un sujet de dissertation, tant l’artiste est une pointure en matière de provocation et d’audace artistique. Sous un « je m’en foutisme » ouvertement affiché, et un sens de la provocation stratosphérique, se cache un personnage qui cultive le second degré comme un art et s’autorise presque tous les moyens pour faire passer ses idées. A tel point que lorsque j’ai recommandé l’écoute de cet album à des amis, je leur ai conseillé de s’équiper d’un casque, d’un protège-dent et d’un sérieux sens du second degré.

A l’image de son titre, Bâtard de Végan, les morceaux qui composent ce qui pourrait presque être considéré comme un concept album, appuient là où cela fait mal. Ou plus exactement forcent le trait pour pointer du doigt et ridiculiser les comportements ou les idées qu’il combat. Alors soit, associer Didier SUPER et concept album n’est pas intuitif ! Et j’avoue que cela m’aurait semblé improbable il y a quelques années. La seule chose dans sa carrière qui jusqu’alors s’en rapprochait était l’immonde La merde des autres, un album de reprises à fuir. Mais là, il y a bien un fil conducteur qui permet de regrouper beaucoup de ses chansons sous une même logique. Ainsi, "Bâtard de végan", "Choisis ton sexe", "Le bon plan", "Positif", "Egoïste"... sont autant de chanson dans lesquelles il endosse la panoplie de gros beauf, ras du front, pour débiter des horreurs sans nom, semblant banaliser les violences faites aux femmes et la transphobie, ou bien ridiculiser l’écologie, les rapports Nord-Sud, le déterminisme social et globalement beaucoup des idées progressistes qui font débat actuellement.

Alors oui, ça pique, ça pique même très fort. Et je suis conscient que cela peut être très clivant et ne pas passer auprès d’un public, pourtant bienveillant. Mais, une fois que l’on a accepté le fait que nous sommes dans de la provocation assumée, la qualité des textes, tous empreints d’humour, est bien indéniable. Il en va de même de la musique. Si, par le passé, la musique était très simpliste et souvent ntait qu’un prétexte permettant à Didier SUPER de s’exprimer, là, l’album tient très bien la route. Bénéficiant d’un très bon son, clair et équilibré, il nous propose essentiellement des morceaux de Reggae, qui sont plutôt efficaces. Et bon nombre de titres sont tous simplement entraînants et marquants. Pas loin d’être entêtants. Il en va ainsi du refrain imparable de "Egoïste", de la coloration Ragga de "Le bon plan", ou bien des plus Reggae Chill que sont "Bâtard de végan" et "Choisis ton sexe". De même, le rythme et les mélodies de "J’ai peur" sont du meilleur effet. Il en résulte un album « sérieux » dans son format, où même le chant, souvent volontairement « faux », passe plutôt bien. Avec, pour cerise sur le gâteau, un dernier morceau, "Y’en a des biens (remix)", qui est une nouvelle version, avec un nouveau texte, d’un titre que l’on peut trouver en deux formats différents dans Vaut mieux en rire que s'en foutre (2004) et Vaut mieux en rire que s'en foutre II (2007).

Au final, Batard de végan est un album singulier, qui ne peut pas laisser indifférent. Ce qui est peut-être la marque des grandes œuvres. Que des auditeurs trouvent cela horrible et honteux ne me choquerait pas (et me rassurerait presque en renforçant ma conviction que Didier a atteint un de ses objectifs). Mais cela reste pour moi un des albums marquants de 2024. Une impressionnante démonstration de courage artistique, pour public averti. Un plaisir coupable comme on n’en trouve plus beaucoup. Le cheval de Troie de la chanson engagée.