Born Bad Records est un label français indépendant éditant depuis 2007 du rock indépendant, mais qui s’est également fait connaître avec ses nombreuses rétrospectives de pop (la trilogie Wizzz!), de rock (LES BLOUSONS NOIRS, Rock Rock Rock : French Rock’n’Roll 1956-1959, Paink : French Punk Anthems 1977-1982) ou d’électro (CHA CHA GUITRY, Francis BEBEY, France Chébran : French Boogie 1980-1985, BIPPP! French Synth-Wave 1979-1985, À Moi La Liberté : Early Electronic Raï, Algérie 1983-1990) de France ou d’Afrique francophone. On leur doit également les (à ce jour) six volumes de Space Oddities, où les DJ français Alexis LE TAN et DJ JESS sélectionnent des morceaux d’illustration musicale d’un compositeur français.

En janvier 2024, le label sort un projet de taille : une compilation du catalogue du Kiosque D’Orphée, une maison de disques pas comme les autres, puisque ayant offert durant près de trente ans un service ouvert à tous et totalement personnalisé. La société fut fondée à la fin des années 1950 et acquise en 1967 par Georges Bâtard (père de Didier Bâtard, bassiste de HELDON). Il s’agit de plus d’un millier de disques de musiciens amateurs (ou non) et de formations des quatre coins de France, des groupes de pop ou de folk locaux, des chœurs d’église, des chorales scolaires ou associatives, des ensembles d’harmonie, des formations de conservatoire, mais aussi des groupes de jazz, de rock ou de musique électronique. À ce titre, je ne peux que vous conseiller un excellent site, Canalblog dédié*.

Sacha Sieff, l’auteur de cette sélection, laisse de côté les innombrables disques de chorale pour recenser essentiellement des enregistrements de chansons, de rock instrumental et de musique électronique et en faire une somme cohérente. Vingt-trois artistes, vingt-trois disques, vingt-trois morceaux. Certains ont déjà été réédités, d’autres non, voire sont complètement restés dans l’ombre (EOLE, POLARIS, RHODES & CO, Jean-Claude ZEMOUR, Joël BOUTOLLEAU). J’ai déjà eu l’occasion de parler de quatre d’entre eux : Didier BOCQUET avec Éclipse (1977), Alain MEUNIER avec Voyage Aux Fonds De La Mer (1979), MAR-VISTA avec Visions Of Sodal Ye (1976) et DEMON & WIZARD avec Evil Possessor (1982), qui chacun présentent une facette de la musique électronique expérimentale et planante en France.

On y ajoute l’éphémère groupe POLARIS qui, le temps d’un unique 45-tours (1978), déroule des instrumentaux hybrides entre électrique et électronique, et Joël BOUTOLLEAU, auteur d’un unique album intitulé Caractères (1977), entièrement électronique, dont l’unique extrait disponible "Force", hypnotique, très cru et au rythme assez marqué, laisse espérer que ce disque resurgisse enfin en intégralité. Plus surprenant : le combo SPOTCH FORCEY, actif au début des années 1980, propose des chansons surréalistes imprégnées de New-Wave.

Côté rock, une juxtaposition du folk-prog léché de KËNNLISCH ("Kënnlisch") et GEOFFROY ("Viking") ou plus électrique de RICTUS ("Flashes"), loin des développements épiques et grandioses d’outre-Manche mais également loin de se borner au mimétisme, du psychédélique brut de fonte d’AMPHYRITE ("Concerto Pour Trois Œufs Brouillés", tout un programme) et INSCIR TRANSIT EXPRESS (le long "Cipangu" avec en sus un solo de batterie d’anthologie) et du pop rock anglophone bancal mais charmant de WARLUS ("Girl Like You"), EOLE ("Friendship"), CRYSTAL EYES ("Crystalized") et Gérard ALFONSI ("Fana Stickle") ou plus affirmé de GUIDON, EDMOND & CLAFOUTIS ("Stormy Sunday").

D’autres pièces instrumentales électriques, plus atypiques et obscures, s’y ajoutent : "Baoum" de RHODES & CO (Baoum / Dialimpro, 1975), groupe d’adolescents du Club Péguy de Poissy, et "Les Éléphants" du groupe CAPUCINE sur leur premier album dédié aux bandes originales de deux pièces de théâtre (Les Corbeaux / Le Champion De La Faim, 1973) montées par Daniel Benoin au Théâtre de l’Estrade à Paris.

Côté chanson française, trois propositions très différentes : la pop seventies typique de Jean-Claude ZEMOUR ("X km/h"), le folk électrique de Chantal WEBER ("Ballade aux châtaignes tombées") ou l’électronique minimal de DOMINIQUE A ("Silence entre nos larmes"). Eh oui.

On s’étonne de la rareté du jazz, uniquement représenté par celui électrique de TEMPLE SUN (le très bon "Voyage Sans Retour" en face B du non moins qualitatif "Brasilia Express", dont 150 exemplaires du pressage original ont été miraculeusement retrouvés à l’état neuf), et de l’absence des musiques classique et contemporaine, qui constituaient pourtant une part non négligeable du catalogue du Kiosque D’Orphée : il y fut fait non seulement de nombreuses interprétations d’œuvres classiques (souvent des ensembles de conservatoire) mais aussi des créations originales, de l’organiste Joseph COPPEY, du clarinettiste Guy PERRAULT (Apocalypse) et du duo Francisco SEMPRUN & Michel CHRISTODOULIDÈS (Mondes Incantatoires Et Espaces Carnivores).

Mes principales réserves concernent le choix de la sélection d’un seul morceau par artiste. Étant donné la rareté de ces disques et de l’indisponibilité de certains (les singles de RHODES & CO, ÉOLE ou POLARIS, l’album de Joël BOUTOLLEAU), pourquoi ne pas les avoir proposés en intégralité, quitte à les rééditer à part ? Le compileur, et par extension le label, avaient forcément des exemplaires originaux en bon état. Il n’y a pas grand-chose de plus frustrant que de découvrir un morceau d’un groupe obscur en sachant pertinemment que les autres nous resteront peut-être interdits à tout jamais. Comme un plan cul manqué : t’as le décolleté mais pas le reste.

*lekiosquedorphee.canalblog.com