On connaît André Lauren Benjamin sous son nom de scène André 3000 mais on le connaît encore davantage en tant que moitié du duo hip-hop OUTKAST. Le groupe n’est peut-être plus actif depuis le début des années 2000, pourtant André n’a pas totalement disparu. On le retrouve occasionnellement ici et là sur différentes collaborations (Frank OCEAN, BEYONCE, John LEGEND ou avec son ex Erykah BADU pour en citer quelques-unes) mais aucun gros projet solo qui mettrait en évidence la créativité du natif d’Atlanta. Sans pour autant oublier la musique - loin de là, André 3000 a concentré ses efforts dans une dizaine de films, en particulier en incarnant le rôle principal dans le biopic sur Jimi HENDRIX, réalisé par John Ridley.

Depuis, André 3000 semblait s’être mis un peu retrait, rendant presque mythique l’attente de ses fans pour un album solo. En 2023, le mystère prend fin avec la sortie de New Blue Sun, premier projet studio de l’artiste. Cependant, le disque en a surpris plus d’un : pas une trace de rap ou de chant, il est totalement instrumental. Qui plus est, New Blue Sun est composé à la flûte et aux instruments acoustiques, autant dire que ce n’était pas là-dessus que ses fans l’attendaient. Malgré tout, cette direction artistique lui a valu une jolie nomination aux Grammy Awards dans la catégorie album de l’année.

Co-écrit et co-produit avec le jazzman Carlos Niño, New Blue Sun est un album qui surprend. Structuré en huit morceaux, tout y est inhabituel, des titres des chansons à leur longueur. André 3000 a 48 ans et n’est pas d’humeur à sortir un album rap, ce sera donc flûte expérimentale pour ceux qui n’auraient pas suivi. Oubliez donc le rap, les beats énergiques et les paroles incisives qui ont fait la réputation d’André 3000. Il nous propose ici une immersion totale dans un univers de paix intérieure, une sorte de trip spirituel dont il serait le gourou new age un brin excentrique mais toujours bienveillant. Regardez-le, sur la pochette, discrètement caché avec un pull fluo derrière sa grosse flûte !

Le voyage commence à travers les mélodies de flûte de "I Swear, I Really Wanted To Make A ‘Rap’ Album But This Is Literally The Way The Wind Blew Me This Time". Petit exercice de visualisation : vous êtes en retraite silencieuse en pleine forêt, vous vous sentez zen, relaxé. Les synthés éthérés se mêlent aux claviers carillonants en attendant l’arrivée de cette flûte aérienne (après 3 minutes sur une chanson qui en compte 12), comme un oiseau qui vous appelle. C’est d’une joliesse. Sans même le voir venir, vous virevoltez sur le doux chant du vent et des oiseaux. Elle prend son temps cette flûte qui gazouille en toute tranquillité, c’est un moment de calme absolu où la musique nous rappelle que rien n’est aussi urgent qu’on ne le pense.

Il y a une simplicité harmonique et une profondeur méditative sur "The Slang Word P(*)s’y Rolls Off The Tongue With Far Better Ease Than The Proper Word Vagina. Do You Agree?". La flûte y est plus mystérieuse, frissonnante presque. C’est beau, c’est languissant, la sensualité adopte ici des contours nouveaux. Je ne sais pas quel genre de champi notre chaman a bouffé mais il en ressort "That Night In Hawaii When I Turned Into A Panther And Started Making These Low Register Purring Tones That I Couldn’t Control… Sh¥t Was Wild". L’atmosphère est plus sauvage, André y introduit quelques percussions légères, subtilement vibrantes mais sans fioritures. Il semble aborder la musique avec un désir de transcendance, comme si cette flûte grave capturait les vérités essentielles d’un son primitif.

"BuyPoloDisorder’s Daughter Wears A 3000® Shirt Embroidered" nous plonge encore dans un univers très ambient où les guitares sont jouées du bout des doigts avant de piquer un crescendo final qui nous emmène dans l’inconnu… la démarche est quasi philosophique. Sur "Ninety Three ’Til Infinity And Beyoncé" (la chanson la plus courte de l’album), André teste la télépathie pour nous chuchoter que nous ne sommes que des électrons dans le cosmos et il nous y présente également le shakuhachi, flûte japonaise en bambou, joué par le jazzman anglais Shabaka HUTCHINGS, qu’est-ce que c’est planant.

Dans "Ghandi, Dalai Lama, Your Lord And Savior J.C. / Bundy, Jeffrey Dahmer, And John Wayne Gacy", André 3000 nous offre les sons les plus bruts et les plus doux de cet album. Il y a ce piano sublime qui ce fraie une place de choix. On flotte encore un moment en écoutant "Ants To You, Gods To Who?", en voilà une sacrée question pour nous sortir un peu de cette tranquillité mentale orchestrée par notre cher leader spirituel.

Le dernier morceau, "Dreams Once Buried Beneath The Dungeon Floor Slowly Sprout Into Undying Gardens", dure 17 minutes, rien que ça, mais avec un titre pareil on est fin prêt à adhérer à la secte du bonheur d’André 3000. Comme une note de fin rassurante, André travaille le vent dans une exploration mystique qu’on ne saurait déranger. Et si la paix intérieure était aussi simple qu’un souffle de flûte ?

On pourrait se demander pourquoi un artiste aussi réputé pour son flow et ses textes a choisi de s’exprimer uniquement de manière instrumentale. Peut-être que cela reflète ses années de silence, un désir d’explorer la musique au-delà des paroles ? Un guide vers la sérénité ? Une façon de rire un peu de la folie de ce monde frénétique en devenant une source de calme joliment décalée ? Une chose est sûre, New Blue Sun soulève plus d’une question, comme quand vous ne comprenez pas une peinture dans un musée ou que vous regardez une chorégraphie de danse contemporaine, ça n’en reste pas moins beau.

C’est intéressant de voir comment André évolue musicalement en dehors du cadre d’OUTKAST et même si l’approche semble plus simple que sur des productions maximalistes, l’absence de mots n’est pas une fuite de son art lyrique, mais plutôt une manière de montrer que la musique est une forme de communication universelle. Même après près d’une heure et demie, on ne sature pas, les instruments eux-mêmes deviennent un langage dans une époque inondée de discours. New Blue Sun est une oasis psychédélique, un trip d’ayahuasca, un moment hors du temps. Philosophe new age, l’artiste reste une énigme qui nous invite à écouter le vent et qui nous rappelle qu’en terme de créativité lorsqu’il s’agit d’André, on est toujours en l’an 3000.