La dernière du trio de choristes les plus prisées de Bruce SPRINGSTEEN. La seule du lot (y compris par rapport au Boss) avec de tels antécédents musicaux également. Lisa LOWELL, de son vrai nom Melissa Lubitz, est fille de musiciens de jazz, un batteur (Bernard Lubitz alias Buddy Lowell) pour Benny GOODMAN entre autres et une chanteuse (Chris Hollander-Lowell) plutôt connue du côté d'Asbury Park, New Jersey. Lisa, aînée de quatre enfants, grandit non loin, sur ce même littoral du 'Garden State' toujours, à Long Branch. À la maison, sa mère passe énormément de disques, notamment Ray CHARLES et Ella FITZGERALD. Lorsque sa fille atteint l'adolescence, elle la pousse à regarder depuis les coulisses quand elle chante ou pour voir d'autres artistes sur scène, notamment SOUTHSIDE JOHNNY & The ASBURY JUKES. C'est aussi à partir de là, en cette fin d'années 60-début 70, que Lisa passe beaucoup de temps sur la plage où, entre autres, elle admire un certain Bruce SPRINGSTEEN, qui apparemment volait déjà la vedette à tout le monde par son seul talent d'interprète.

Après le lycée et ayant découvert le rock, sans oublier son idole Laura NYRO, Lisa a 17 ans, une période 'mini-short et cuissardes' de ses propres dires et qu'elle avoue avoir attendue pour commencer à chanter, ne parvenant pas jusque-là à concrétiser un rêve d'enfant. Elle se produit donc sur scène mais les expériences ne sont pas concluantes. Elle part plus au nord pour étudier son métier (même si le saxophone lui fait de l'oeil plus que le chant, au départ) à Boston, au New England Conservatory of Music. Chose amusante quand on sait que le pseudonyme de Lowell adopté par son père – lui-même natif du Massachusetts -, à l'origine, vient de l'écriteau d'un bus qui fait la navette avec la ville éponyme toute proche. À la suite de cela, Lisa part habiter New York, à Greenwich Village où elle retrouve une native du Jersey Shore comme elle, Patti Scialfa. Elles chantent dans la rue et rencontrent Soozie Tyrell, la dernière de leur trio vocal en devenir, TRICKSTER.

S'ensuivent les années fastes comme choristes auprès des artistes locaux, en ville comme à la campagne, celle-ci plutôt du côté New Jersey littoral. SOUTHSIDE JOHHNY les engage régulièrement, et de temps en temps, SPRINGSTEEN le fait aussi, jusqu'au milieu des années 80 béni pour Patti Scialfa qui part avec lui et le E STREET BAND en tournée, la plus gigantesque du rock (Born in the U.S.A.), avant bien d'autres choses. De son côté, au même moment, Lisa LOWELL fonde avec Soozie Tyrell ainsi que la chanteuse Ramona Jan un nouveau trio vocal, VENUS FLYTRAP (en français Dionée attrape-mouche, la plus connue des plantes carnivores) à l'existence éphémère.

Outre les sessions de choeurs, si l'on veut entendre Lisa LOWELL en lead vocals par enregistrements durant toute cette période, il y a d'abord la soul-rock fraîche du morceau "(No, No) I'll Never Believe It" sur The Sounds of Asbury Park, album 'various'/collectif de musiciens locaux paru en 1980. Plus tard, de 1988, on peut trouver (mais pas facilement) un 45 tours, seule et unique oeuvre connue du LENNY NELSON PROJECT, même nom qu'un bassiste autour duquel se compose une petite équipe, dont le saxophoniste Bob Malach et le batteur Howie Wyeth qui a joué un temps avec Bob DYLAN pour la période Desire/Hard Rain (1976). Justement, à ce dernier, la face A du single rend hommage, avec une reprise du morceau "Only a Pawn in Their Game" de l'album The Times They're A Changin' (1964). Le son, pop-rock aérien de fin 80's est plutôt bon, et on entend avec plaisir Lisa chanter fort bien avec en prime quelques accents dylaniens.

Puis arrive 1992, symbole de l'alliance déjà de longue date et pour toujours, sans qu'elles le sachent encore, de Lisa LOWELL, Soozie Tyrell et Patti Scialfa, pour l'album Lucky Town de Bruce SPRINGSTEEN (marié avec la troisième), ensuite rappelées ponctuellement mais sûrement par ce dernier pour chaque album futur voire série de concerts. Un des temps forts, pour Lisa surtout dont c'est la première tournée avec Bruce, demeure la période SEEGER SESSIONS BAND en 2006-2007. C'est justement là qu'elle se sort de beaucoup de chagrins successifs dans sa vie, perte de proches, son père, ses deux meilleures amies et son compagnon musicien Scott Beal, d'un cancer sachant qu'elle a eu le sien propre (mais traité vite et bien, lui).

C'est Scott Beal qui l'avait poussée à sortir un album sous son nom et, de 2003 à 2008, ils s'étaient employés à ce que tout soit fait ensemble, jusqu'à la distribution par le label qu'ils co-détenaient, mais la vie en a décidé autrement. Madame Boo Boo Music n'a donc été créé qu'à cette fin d'édition. Le titre Beautiful Behaviour vient d'une conversation mutuelle avec l'ami défunt, durant laquelle Lisa LOWELL avait fait un lapsus. Un vrai clin d'oeil et plein de recueillement donc, pour ce qui demeure un EP, travail inachevé en apparence, mais au final d'une demi-heure aussi solide que son contenu. Suivant ses influences principales, sa personnalité vocale et d'un point de vue écriture, Lisa LOWELL semble être un mélange de Patti LaBELLE et bien sûr Laura NYRO, à qui la sélection de photos accompagnant le disque est un hommage direct.

Avec son léger voile et le timbre rauque de même épaisseur obtenu avec l'âge, sa voix est un peu le trésor secret dans l'ombre du Boss SPRINGSTEEN, à la fois proche de lui (plus que celle de Patti) et en même temps de celle de Soozie TYRELL la blonde. Ce qui est certain, c'est qu'écouter Lisa (seconde rousse de la bande) chanter, concentrer l'attention est une jouissance rare, et qui plus est parce qu'elle a forcément quelque chose de torride, un sex-appeal y compris quand elle ne fait que parler (avec la profondeur sensuelle d'une Annie LENNOX), même pour un sujet sérieux et extérieur, comme sur "For the Love of God". Un texte anti-religion belliqueuse, quelle qu'elle soit, et un moment fortement épique, jusque dans la présence inédite de cuivres (saxophone-trompette) joués par Bill Holloman seul.

Du haut de ses six minutes, cette chanson est la preuve d'une belle musicalité, entre blues minimaliste et soul éclatante, d'une progression soignée et suivant de près la voix magnétique de Lisa LOWELL. Et elle n'est pas la seule, ne serait-ce que si l'on prend l'autre morceau vraiment différent de l'ensemble par sa thématique, à savoir "Moulin Rouge". Lisa LOWELL l'a écrit au milieu des années 80, durant la période VENUS FLYTRAP, quand elle et ses amies ont passé un mois à Paris dans le quartier Montmartre, voyant passer toute l'effervescence nocturne dans ce cabaret si réputé !

Le résultat, chanté par LOWELL 'LaBelle' avec ses choeurs 'toute seule', est à la hauteur de ce que l'on peut en espérer (rien que les 'ooh la la, je suis à toi' de fin !), sur un blues rythmé et relâché, au piano roulant, à l'orgue détonnant, à la mandoline surprenante et, détail pas des moindres, à l'invité Bruce SPRINGSTEEN - échange de bons procédés même si c'est la seule fois ici -, pour une guitare électrique féline comme jamais ! On est complices musicaux de longue date ou on ne l'est pas. Cela vaut d'ailleurs aussi pour Patti Scialfa et Soozie Tyrell, bien entendu de la partie et dès "The Big Odd" où leurs voix sont quelques peu déformées mis à part sur le refrain. Petite touche originale dans une chanson à l'inspiration très sombre (le décès de Scott Beal), mais également au ton rétro/soul imparable avec la clarté moderne, au groove et aux cordes orientales superbes.

Même en plein exorcisme de la douleur, Lisa LOWELL nous charme tout autant sur "A Love So True", ballade de bar à l'esprit Motown (claves, glockenspiel) d'une classe folle. Idem pour "Until You Come Undone", texte-bilan sur les sentiments que font naître les pertes de personnes proches, où le guitariste principal du projet, Hugh McCracken (sessionman au CV impressionnant : John LENNON, Aretha FRANKLIN, Bob DYLAN, Paul SIMON, STEELY DAN etc), si joliment funky dans son approche, joue de l'harmonica.

Autre élément remarquable, le bassiste Lincoln Schleifer qui produit l'ensemble, a joué avec le LEVON HELM BAND. Quand on sait que d'autres du même groupe avaient aidé, en 2003, Soozie Tyrell pour son seul album, White Lines, le monde est petit ! Elle-même fournit un violon superbe, couplé à la guitare sur "The Moon Borrows Light From the Sun", ballade merveilleuse et hypnotique, à l'approche électro plus moderne légère, aux guitares intelligentes, sans parler bien sûr de notre meneuse si, waouh ! Il y a vraiment la générosité de ce que les photos révèlent en beauté féminine quinquagénaire et naturel, sous l'objectif de Ronnie Farley (portraitiste de renom).

Et quelle belle écriture, quels arrangements, quelles mélodies plus riches qu'on le pense ! Pour sûr, Laura NYRO a fait de belles émules et Lisa LOWELL, tout en adoptant des éléments classiques, sait produire des chansons/interprétations marquantes qui s'écoutent mieux qu'à la légère, par leur déroulement. Hélas, comme pour Soozie Tyrell et son album, Beautiful Behavior est resté la seule oeuvre complète à son nom.