Kristin Hayter poursuit sur Caligula son travail entamé sur ses deux albums précédents, Let The Evil Of His Own Lips Cover Him (2017) et All Bitches Die (2017). Si sa motivation s’abreuve toujours à la même source, la dénonciation des abus et des violences, elle élargit sa palette vocale et musicale. Vocalement, côté chant clair, elle a fait un travail sur sa voix pour la rendre moins féminine et magnifique ; mais ne vous y trompez pas, Hayter continue à hurler dans cet opus, à s’arracher les cordes vocales même. Côté musical, elle explore de nouveaux horizons, c’est pour elle un labyrinthe qui s’ouvre confesse-t-elle.

Le nom de Caligula fait bien évidemment référence à cet empereur romain cruel, violent, instable mentalement, despotique et dépravé, sa folie et dépravation renvoyant à celles de Hayter qui souffre de stress post-traumatique. C’est également l’expression d’un désir de survie dans le monde actuel fait de violence, trahisons, solitude et dépravation généralisée, politique notamment.

L’album s’ouvre sur "Faithful Servant Friend Of Christ" aux harmonies vocales ‘overdubées’ sur fond de cordes frottées avec un chant déclamé tourné vers les croyants mais qui annonce la venue d’une nuit sans fin. La venue de la nuit, elle arrivera très tôt, dès le second titre de près de dix minutes, "Do You Doubt Me Traitor", où elle scande un appel à Satan "Satan, Satan / Satan, get beside me / Satan, Satan / Satan, fortify me!" avant que ne se déchaîne sa fureur hurlée, démentielle, et où on sent la crise de nerfs et l’épuisement arriver : "How do I break you, before you break me?", le tout dans un déluge indus bruitiste d’explosions, dans une vision de déflagrations qui nous envoient des débris à la figure par centaines.

Parmi les autres chansons qui se détachent immédiatement, on remarque "Butcher Of The World" avec ses tambours, une déconstruction en partie samplée d’une marche funèbre, Music For The Funeral Of Queen Mary de Henry Purcell. Dans cet épisode, hurlements bestiaux côtoient un chant mélodramatique et plaintif, une scène dans laquelle Hayter chante "In return for my love / He strikes me down / Even as I make prayer for him". "May Failure Be Your Noose", quant à elle, pourra nous faire penser à l’approche du Doom par Chelsea WOLFE, dans son album Hiss Spun de 2017, avec l’emploi de ce qui semble être une électronique (ou une basse) ultra saturée.

Petit sourire aussi – malgré tout - quand on parcourt cet album, Hayter n’est pas sans posséder un humour noir et acide, notamment dans le titre de sa chanson "If The Poison Won’t Take You My Dogs Will", débutant par "Kyrie eleison", qui signifie "Seigneur, prends pitié" et où on retrouve une nouvelle fois la figure de la tueuse en série Aileen Wuornos et dans laquelle on sent une petite touche tribale ; une chanson dans laquelle Hayter s’adresse à la criminelle : "Aileen / I'll only say this once / Life is cruel, and time heals nothing / And everyone you love will leave you / But not me". Autre chanson qui interpellera, "Fragrant Is My Many Flowered Crown", qui côtoie la musique gospel, ce qui n’est pas non plus une étrangeté dans le sens où cet album conserve une inspiration religieuse marquée, mais où la confiance en la puissance divine s’étiole clairement "But all God’s love means nothing now". "Day Of Tears And Mourning", n’est quant à elle qu’une succession de hurlements dont on peine à décrypter le sens des mots, un passage clairement black metal.

"Spite Alone Holds Me Aloft" est un autre morceau enchanteur de cet album, sur le thème de la trahison : "All who proclaim their love betray me / Betray me". Ce titre possède la lenteur et la lourdeur du Funeral Doom ; c’est une procession funèbre d’où jaillira un magma de vocaux déchirants et ultra saturés, comme si la porte de l’Enfer venait de s’ouvrir et laisser cracher ses légions démoniaques menées par le Prince des Ténèbres dans toute sa gloire, loué par le chœur des anges déchus dans sa suite.

L’album se clôt sur le magnifique "I Am The Beast" aux ambiances crépusculaires de fin du monde dans sa seconde partie. Hayter plonge dans les tréfonds pervers de la psyché humaine quand elle chante avec magnificence "All I want is boundless love / All I know is violence" ; après avoir répété ce mot de "Violence" s’enclenche alors un mur de noise fait de grésillements, de percussions et d’instrumentations grandiloquentes annonçant l’arrivée de la Bête dans un fracas théâtral et dramatique au possible. "Praise Me / Beast I Am" hurle-t-elle dans un blast apocalyptique et symphonique qui s’éteint aussi brutalement qu’il est apparu.

Ainsi tombe le rideau sur Caligula qui coche toutes les cases de l’album éprouvant pour le profane mais qui réjouira ceux qui ne sont pas rétifs aux musiques extrêmes, au néo-classique, aux influences baroques, et bien entendu aux mélanges des genres. Un album indispensable pour ceux-là.

Note : 4.5/5.