Depuis ses débuts provocateurs et tumultueux avec Bastard et Goblin, TYLER, THE CREATOR s’est imposé comme le trublion assumé du rap game américain. À 33 ans, le rappeur délaisse la rage juvénile de ses débuts pour livrer fin 2024 Chromakopia, un huitième album plus introspectif que jamais où il s’attaque à la thématique du masque comme le démontre la pochette de l’album.

Pour l’occasion, TYLER nous présente son nouvel alter ego, Saint Chroma, qui va tenter de détruire le masque derrière lequel il se cache et d’explorer la manière dont cet artifice est à la fois une sorte d’armure, mais aussi une prison. Sur le morceau d’introduction "St. Chroma" en duo avec le chanteur canadien Daniel CEASAR, TYLER nous offre un beat martial, élaboré et toujours aussi imprévisible que par le passé, tout en nous montrant une facette presque philosophique (You are the light/It’s not on you, it’s in you).

La créativité débridée de TYLER prouve qu’il reste un artiste toujours difficile à cataloguer, surtout quand on entend son énergie brute sur l’instru un peu fofolle du très bon « I Killed You » sur lequel les cuivres résonnent en arrière-plan, comme des échos de l’âme. On ne quitte pas cette ambiance explosive faite de punchlines brutales et d’arrangements déconcertants sur le titre "Thought I Was Dead" où SANTIGOLD et SCHOOLBOY Q donnent la réplique à un TYLER en très grande forme.

TYLER continue de nous offrir un rap ahurissant sur le morceau aux percussions presque tribales "Sticky", en featuring avec la rappeuse SEXXY RED et un Lil WAYNE qui nous a ramené une section de cuivres grondante, tout droit venue du Dirty South. Les trois rappeurs s’éclatent, ça s’entend, et nous avec. Certains éléments pop comme les synthés lumineux viennent se glisser dans l’instru de "Balloon", une chanson plus légère musicalement sur laquelle la hardiesse de la rappeuse DOECHII est aussi forte que celle de TYLER.

On passe aussi par des morceaux plus lents, plus contemplatifs ; du R&B romantique sur "Darling, I" au minimalisme lo-fi des beats de "Hey Jane" et de "Judge Judy" qui s’oppose à ce côté plus jazzy qu'on entend sur "Take Your Mask Off" ou sur "I Hope You Find Your Way Home". Deux chansons se distinguent particulièrement par leurs instrumentations : des cordes éthérées et douces de "Tomorrow" ou la ligne de piano pleine d’émotion dans "Like Him", un titre où TYLER évoque l’absence de son père (Mama, I’m chasing a ghost/I don’t know where he is/Mama, I’m chasing a ghost/Do I look like him ?).

Le rappeur aborde aussi le sujet de sa paranoïa, que ce soit en étant complètement épuisé par la méfiance sur le single "Noid" ou dans l’atmosphère chaotique, agressive et parfois dissonante - servant à accentuer son propos - sur l’excellent "Rah Tah Tah", un titre signature où l’on retrouve le style unique de TYLER.

Comme toujours avec TYLER, THE CREATOR, il faut laisser ses préjugés derrière soi et s’ouvrir au monde des possibles. Si Chromakopia n’est pas un album linéaire, il en reste néanmoins audacieux et cohérent. Le rappeur-producteur continue de décloisonner le genre hip-hop et ce qui me marque le plus dans cet album, c’est qu’il n’est pas passif. Qu’on soit surpris par sa direction ou son intensité émotionnelle, on ne décroche pas, on s’implique et on écoute cet outsider devenu aujourd’hui incontournable.

Note réelle : 3,5