Il y a trois ans, la musique de BAD BUNNY explosait les records d’écoutes en streaming avec son album en espagnol YHLQMDLG, prouvant - comme ses copains J BALVIN ou Peso PLUMA - que la langue n’est pas un frein dans le monde d’aujourd’hui, et que les musiques latines y ont toute leur place. Allié des mouvements sociaux dans son pays, le Portoricain s’engage sur des terrains qui vont au-delà de la musique, qu’il avait commencé à partager sur SoundCloud à ses débuts. Le monde entier a ajouté les rythmes reggaeton de Benito dans ses playlists mais derrière les millions de streams et son image souvent jugée clinquante, BAD BUNNY s’efface de la pochette de son sixième album, Debí Tirar Más Fotos, millésime 2025.

Cette cuvée donne immédiatement le ton avec "Nuevayol", chanson d’introduction 3-en-1 aux couleurs 100% latines. On le comprend, le roi de la trap latine est là pour nous faire danser et son énergie débordante fait du bien au milieu de l’hiver ; BAD BUNNY réchauffe les coeurs et les corps. Passez les idées préconçues qu’on se fait du reggaeton et on peut y découvrir un rappeur qui rend hommage à son pays et sample un des hits de la salsa portoricaine des années 70, "Un Verano En Nueva York" d’El GRAN COMBO DE PUERTO RICO.

BAD BUNNY nous le dit grâce au titre de l’album traduit par 'J’aurais dû prendre plus de photos', il explore la notion de souvenirs et de regret, aussi bien lors des ballades reggaeton "Perfumito Nuevo" et "Ketu Tecré" avec son chant mélodieux, que sur le morceau éponyme "DTMF", du nom de l’album. Il est nostalgique, notre Beni, sur cette track plus atmosphérique où il nous rappelle l’importance de souligner les jolis moments du quotidien.

Bien que ce soit moins mon délire, le single "El Club" débute par une mélodie douce mélangée à des synthés et des effets vocaux façon house. Le côté presque trop ambiant de "Bokete" prend un peu trop le dessus par rapport au rythme de la bachata qui débarque petit à petit, portée par la guitare.

Le tempo de la très jolie "Turista" est plus doux comme celui de "Weltita" où BAD BUNNY choisit une instrumentation plus traditionnelle qui n’est pas pour me déplaire. Dans "Velda", Benito sample le reggaeton marqué des années 2000 du groupe portoricain PLAN B qu’il remet au goût du jour. C’est donc un titre très dansant qu’il nous livre, mais qui ne manque pas de subtilité. L’énergie continue d’être contagieuse avec les percussions festives de "Eoo", "Kloufrens" ou "Voy A Llevarte Pa PR", une lettre d’amour à Puerto Rico taillée pour devenir un club banger.

Des morceaux comme "Café Con Ron" et le single "Pitorro De Coco" qui illustrent sa maîtrise des rythmes urbains font partie des grands moments de cet album. Les guitares y sont sublimes et les différentes percussions utilisées sur "Pitorro De Coco" s’inspirent de la musique jibaro typique des zones plus paysannes de Puerto Rico.

Benito réaffirme son implication pour son pays, cite l’intellectuel portoricain Eugenio Maria de Hostos et appelle à l’indépendance de son pays sur les rythmes tropicaux de "La Mudanza". Il craint une perte d’identité pour Puerto Rico si l’île n’est pas préservée, à l’image d’Hawaii qui a souffert des intérêts américains. Il dit son souhait de préserver les traditions culturelles indigènes sur la toute douce "Lo Que Le Paso A Hawaii", une des plus jolies chansons de l’album.

Le titre préféré de Benito qu’il décrit comme un de ses meilleurs moment de création musicale, c’est "Baile Inolvidable" dont l’instrumentation a été principalement réalisée par des jeunes étudiants d’une école de musique de San Juan. On débute par une intro très électro avec une voix autotunée, mais ne vous laissez pas refroidir par cette mise en bouche car le morceau vire ensuite vers une des influences majeures de l’éducation musicale du rappeur, une salsa de très bon goût.

Sans connaître Puerto Rico, Debi Tirar Mas Fotos nous immerge dans ce que représente l’île pour BAD BUNNY, mais on y découvre aussi un artiste engagé qui utilise sa musique pour confronter le colonialisme et la diaspora subie par son pays. Si vous pensez que BAD BUNNY n’est que trap latino et reggaeton, alors il mérite une sérieuse réévaluation puisqu’au-delà de sa palette sonore débordante, il prouve qu’il peut s’éloigner des hits de boîtes de nuit pour nous offrir une musique captivante, reflétant la célébration de la culture latino dans une industrie largement dominée par les USA. Et tout ça vaut bien un petit détour par Puerto Rico.