L’Américain William BASINSKI est un multi-instrumentiste qui a assis sa réputation dans le monde de l’ambient et de l’expérimental grâce à sa série de compositions intitulées The Disintegration Loops, sorties au cours des années 2002 et 2003, quatre volumes au total, environ cinq heures de musique, quatre volumes régulièrement évoqués comme des œuvres majeures, voire indispensables, dans le style. Il y a lieu d’évoquer également leur contexte car ces diverses compositions sont sorties dans la suite des attentats du 11 septembre 2001 (World Trade Center), BASINSKI ayant pu filmer ceux-ci depuis sa résidence new yorkaise alors qu’il planchait à cette époque sur ces travaux, des boucles enregistrées qui se répétaient sur des bandes se détruisant progressivement au fur et à mesure de leurs écoutes. Certains y ont alors vu une analogie de décomposition (decay), de délabrement, en faisant le lien avec les événements qui se produisaient concomitamment, esthétique renforcée par le fait que chaque volume est illustré par une photo de New York en feu (inévitablement, ces attentats ont eu un rôle dans la popularité de ces travaux). Mais, plus probablement, il faut y voir une musique représentative de toute chose de notre monde, comme toute vie, qui tente de survivre alors qu'elle chemine inexorablement vers sa fin.

Au sein de cette série c’est The Disintegration Loops 2 qui m’attire le plus. Pour deux raisons ; la première c’est que "DLP 3" est la boucle dont la mélodie m’enchante le plus, et là c’est évidemment un critère très subjectif. La seconde, c’est que la boucle de "DLP 2.2" est la boucle la plus représentative de ce que nous donne à voir la pochette de l’album.

Commençons par "DLP 3" donc, seconde boucle du deuxième volume des Disintegration Loops (2003), et ne durant que quelques secondes (ses répétitions s‘étalant sur un peu plus de quarante minutes); celle-ci est particulièrement représentative de ce travail de BASINSKI car elle laisse la désagrégation s’installer progressivement sans s’étaler trop dans la durée ("DLP 1.1" dure plus d’une heure à titre de comparaison). Son joli motif mélodique, qui semble fait de cuivres, réitère ses élans orchestraux hypnotiques, tentatives désespérées qui ne pourront résister à l’anéantissement, la décomposition commençant par toucher la fin de la boucle avant de gagner, comme une gangrène, l’ensemble de celle-ci.

"DLP 2.2", la première boucle de plus de trente minutes, est particulièrement sombre et menaçante. Dès les premières secondes on est plongés dans une ambiance sinistre et hantée de fin du monde, de désolation, de dévastation qui colle parfaitement à une vision d’un monde gris et recouvert de cendres ; un des travaux minimalistes les plus enchanteurs en la matière, qu’on peut aisément classer en catégorie ‘dark ambient’. D’ailleurs, dans cette boucle, la décomposition gagne plus rapidement que dans "DLP 3", l’auditeur sera pris de suffocations dès le début et il ne restera rien de la bande, juste des grésillements tels les os émiettés et calcinés d’un squelette sous les décombres du World Trade center.

Comme tout travail qui se rapproche de l’art contemporain, on ne peut occulter le contexte et séparer l’interprétation, de l’œuvre. Toutefois, le travail est ici pleinement saisissant et me semble être le meilleur de ce qu'il a réalisé dans cette série. Ceux qui ne souhaitent pas s’aventurer dans les cinq heures de ces Disintegration Loops et qui craignent (et on peut les comprendre) un travail par trop répétitif sur une telle durée, devraient au moins tenter l’expérience avec ce volume n°2 qui pourra vite devenir addictif.

PS : C'est une délicate attention de la part du compositeur de prendre un peu de son temps pour mettre un petit mot de remerciement personnalisé quand on achète le CD. On peut apprécier le geste, surtout de la part d'artistes qui ont déjà une renommée internationale certaine.