Il faut parfois se résigner, même durant ses moments de liberté, à aller au charbon. Ce n'est pas du masochisme, quand bien même on sait qu'on peut s'en sortir à peine, dans le sang et la sueur, c'est juste qu'il faut faire. Le cartographe a beau anticiper au point de redouter, en faire des cauchemars, il sait qu'à un moment ou l'autre, il doit dessiner la Grèce, sa forme particulière et ses îles innombrables, ou, encore pire, la côte de la Norvège. Quant au mâle blanc hétéro, s'il veut s'attaquer (façon de parler hein, rangez les pistolets) à un album comme Si On Sombre Ce Sera Beau, on lui souhaite d'être bien assuré.

Voilà pour les lieux communs qu'il convient de dépasser. Solann Lis-Amboyan dite SOLANN vient d'empocher la Victoire de la Musique en tant que révélation féminine de l'année, sa tournée va l'amener à faire l'Olympia, il y a donc matière à lui prêter plus qu'un intérêt détaché, rien que pour cela. Son premier album (suivant l'E.P Monstrueuse sorti un an plus tôt) révèle une pochette pleine de charme, poursuivons donc. Nul doute que celle qui s'est bien placée durant des années difficiles (2020-21) aux côtés de son amie Zaho DE SAGAZAN, a plus d'un atout dans sa manche !

Depuis toujours, la chanteuse est influencée par Anne SYLVESTRE aussi bien qu'Ella FITZGERALD, par Jeff BUCKLEY comme Charles AZNAVOUR (aux origines arméniennes, comme elle). Son univers créatif la rapproche plutôt de miss Zaho DE SAGAZAN autant que d'ANGÈLE, pour le côté vengeur. Relations toxiques, pervers narcissiques, tout le champ lexical en -ique teinté de patriarcat y passe et certes, il y a beaucoup de mal à en dire, autant à expier selon le vécu, mais il est clair que SOLANN est dans la bonne mouvance pour cela.

Il y a aussi la manière de le dire qui compte : reconnaissons tout de suite que si "Rome", le single porteur interprété aux Victoires, est du genre 'direct du droit + uppercut' avec des paroles sans fard (on m'a traité de chienne, mais c'est une chienne comme moi qui a élevé Rome, les putes comme moi portent les rêves des hommes), la chanteuse n'est pas avare en poésie personnelle, plus fine. "Insomnie" véritable calme avant la tempête, est assez jolie dans son style ballade en voix-ukulélé, instrument que SOLANN favorise.

L'ambiance est sombre, sur le fil du rasoir, dès le "Préambule" avec son leitmotiv on l'aura bien cherché, ensuite avec "Rome" et ses cris libérateurs, "Les Ogres" et son effet rap-électro sur zoukante au refrain massif, "Les Draps" en auto-flagellation durant un moment intime traumatisant etc. Ces titres ne facilitent pas l'écoute et musicalement, il y a à boire comme à manger. Manger tiens, un thème récurrent et de façon maladive façon 'trouble alimentaire', psychologique, sur "Petit Corps" au ukulélé en accords valsé, "Comme les Animaux" aussi funky que crasseux.

La guitare électrique rageuse et les boucles électro de "Tout Cramer" pour accompagner un chant de révolte juvénile malhabile (moi j'suis toute seule, mais j'suis pas seule à vouloir changer ça), l'effet de monologue et de voix soliste qui sonne comme un synthé discutables sur "Marcher Droit" au thème ancestral pourtant interpelant, sont encore autant de brûlots qu'on aimerait ne pas simplement estampiller 'génération Z'.

Cela étant, on préfère se rabattre sur des musiques et messages comme celui de "Mayrig", avec son idée de cocon féminin/maternel malgré une production étouffée, "Appelle-Moi Sorcière", complainte au ukulélé, sans oublier "L'oiseau", désillusionnée mais superbement emballée avec un côté western épique. SOLANN marie son expérience et son caractère avec ses ambitions. L'ensemble de l'album est assez touffu pour que l'on s'y perde, mais l'âpreté et le combat ne sont pas sans dommages collatéraux.