Malgré le cap de 1990 franchi, la dream-pop si bien marquante lors de la décennie précédente avait encore de beaux jours devant elle. Entre les 'nerveux' de la shoegaze ou bien ceux qui préférent le versant électro, il y en a pour tous les goûts. Et puis, dans le sillage de COCTEAU TWINS, les groupes à chanteuses ont la part toujours belle, à commencer par MAZZY STAR et cette chère Hope Sandoval. Les Américains passent d'ailleurs pour de nouveaux maîtres aux côtés des Anglais qui dominaient durant les années 80, et c'est justement un combo de New York qui nous intéresse ici.

IVY prend forme durant la première moitié des nineties, avec d'abord la rencontre en 1991 des trois membres qui forment le tout. Andy Chase vit alors dans un appartement avec sa compagne Dominique Durand, jeune Parisienne exilée depuis un an et qui ne quittera plus la mégalopole si symbolique des Etats-Unis. Il passe une annonce dans le périodique Village Voice pour trouver des musiciens voulant s'aventurer sur un terrain dream-pop avec lui. Adam Schlesinger y répond et se présente chez eux avec un ami, Chris Collingwood. Ils font tous deux déjà partie d'un petit ensemble nommé PINWHEEL (autrement dit la première mouture de ce qui deviendra FOUNTAINS OF WAYNE, au succès non négligeable).

Cela ne se passe pas forcément au mieux, car Chase souhaite chanter lui-même, mais une alchimie se crée vite avec Schlesinger. Et c'est ça, la force d'IVY, un groupe basé sur l'amitié, le bon feeling. Encore que, ce premier jour, Dominique Durand est envoyée par son chéri dans la chambre, car elle n'a rien à faire là, vu qu'elle ne souhaite pas faire partie d'un groupe, elle n'a même jamais chanté ! À l'époque, elle est à New York pour étudier l'anglais, elle veut devenir photographe ou réalisatrice de documentaires, mais à partir de ce jour, tout change. Les deux gars deviennent amis de plus en plus proches et l'alchimie du trio se crée. Il faut pourtant attendre 1994 pour que Dominique accepte de poser sa voix sur certains titres, et c'est là que tout s'accélère.

Devenu IVY, le duo maintenant trio réunit plusieurs démos et peut démarcher. La réponse vient rapidement du label Seed Records qui est en fait une filiale de la major Atlantic, à une époque où celle-ci veut exploiter le filon underground. Un EP, Lately, voit le jour et l'année suivante, en 1995, Realistic marque vraiment le début de cette carrière. À noter que la bonne intelligence (non pas celle très managériale de nos jours) veut que chaque oeuvre ait son identité ; aussi, l'album ne reprend-il pas un seul morceau de l'EP.

Ce qui frappe sur Realistic, c'est sa fraîcheur, dès un "Get Enough" des plus enthousiasmants. Certes, Lately avait déjà son petit lot en la matière, comme "Can't Even Fake It", "Wish It All Away", voire la ballade "I Guess I'm Just a Little Too Sensitive". Certes, IVY a bien digéré ses influences, notamment les GO-BETWEENS (parmi les meilleurs groupes rock australiens, surf ou non), les guitares claires à la The SMITHS et autres éléments indé de choix anglais. Et puis leur musique n'est pas originale à une époque où les groupes comme WEEZER sont en train de profiter du déclin du grunge et truster la pop indie américaine.

Néanmoins, on s'en délecte très vite, avec donc ce premier single "Get Enough" très chouette, même si Dominique Durand est encore dans ses années de non-chanteuse, manquant d'assurance, parfois approximative en notes... Notez que l'accent frenchie est assez rare dans les groupes d'alors (sauf exercice de style forcé) et qu'il n'y a jamais lieu de le critiquer, surtout pas d'un point de vue anglo-yankee. La prestation de Durand sur "Beautiful" est un peu monocorde, mais le morceau avec quelques élans groovy est plus bon, de même que "Don't Believe a Word", sachant que les deux sortiront en des singles tout aussi inaperçus. Ceci en sachant qu'il y avait du vrai tube potentiel à côté, à commencer par "No Guarantee", plus latino dans son approche, couplets brumeux, refrains éclatants, 'toutoudoudou' en choeurs de fond vraiment mignons...

Mieux encore, "In the Shadows" est, comme l'âge adulte jeune, entre insouciance et mordant, avec des guitares taill(ad)ant la route, une énergie palpable qu'aucune ballade ne vient dénaturer, cela étant. Si vous pensez devoir changer votre vie d'une façon ou l'autre et que vous écoutez "Decay" en même temps, dites-vous que c'était écrit. À propos, "Everyday" joue la carte de la routine, et l'effet sucré y est réussi à travers des paroles bien choisies ('You're not the only one afraid of what you've become', 'why does everything seems like such a waste of time?' La basse comme la batterie s'emballent un peu à la fin, pour notre plus grand plaisir.

IVY débute peut-être encore mieux sa carrière avec pareils titres, auxquels s'ajoutent l'entêtant "Shallow", avec sa guitare acoustique limpide et ses sons diaphanes (vibraphone compris), l'émouvant et crépusculaire "Dying Star" (très chouettes guitares psychédéliques du pont) ou encore "Over" qui déploie lentement ses crescendos. Hypnotique, cette conclusion contient l'une des rares présences extérieures au groupe, à savoir la guitare slide de Kurt Ralske, qui possède un studio du nom de Zabriskie Point à New York, où Realistic est partiellement enregistré. Malgré quelques apports un peu brouillon encore, l'album est consistant, le talent facile à déceler, en attendant une suite meilleure, qui finira bel et bien par arriver.