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HINDUSTANI / DRUPHAD  |  STUDIO

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 Madhuvanti Pal Bandcamp (4)

Madhuvanti PAL - The Holy Mother (plays The Rudra Veena) (2023)
Par STREETCLEANER le 27 Avril 2025          Consultée 83 fois

Parler de ce disque relève de la gageure parce que, en tant qu’occidental non initié, j’avoue ne pas posséder les codes d’analyse de cette musique ancestrale indienne (sa grammaire notamment) jouée avec cet instrument si particulier qu’est le rudra veena. Le texte que je vous soumets prendra donc plus la forme d’une présentation de ce disque qu’une chronique, présentation dont l’essentiel des informations est tiré des notes mêmes de celui-là.

La musique ici jouée est le Druphad, qui est la plus vieille forme de musique classique du nord de l’Inde. Certains érudits en musique Hindustani le font remonter à environ 3000 ans. Les textes védiques étaient chantés - pour faciliter leur mémorisation et leur récitation - avec des rythmiques et des motifs tonaux spécifiques. Relevant de cette tradition, le Druphad devint alors une forme de chanson jouée dans les temples pour les divinités hindoues puis il fut joué dans les cours royales, prenant de plus en plus une forme méditative de la musique Hindustani, le public étant invité à s’engager dans une exploration intérieure en suivant l’humeur de l’artiste.

Le Druphad, basé d’origine sur un poème rythmé de quatre vers, comporte plusieurs styles, lignées et traditions que l’on appelle des Gharanas, terme associé à des maisons (familles, écoles), chacune ayant ses pratiques et styles ; ici Madhuvanti PAL dit avoir été influencée par deux d’entre elles : Dagar bani (famille Dagar, avec une longue et lente section introductive) et Bishnupur (ville de l’ouest du Bengal, famille Nag, qui joue sur l’embellissement des notes et phrases très ornementées). Comme dans la musique occidentale, la musique nord-indienne est basée sur des mélodies et des gammes mais lors des représentations la musique Hindustani ne change pas de clés et demeure sur la tonique ‘Sa’ (correspondant au Do). Les compositions présentées par PAL sont uniquement instrumentales et ne font l’objet d’aucun overdub. C’est elle-même qui s’est occupée de l’enregistrement lequel, il faut le souligner, est d’excellente qualité.

Le rudra veena est un instrument proche des sitars et sarods (ces derniers permettant un jeu plus rapide et complexe), Rudra étant un nom pour Shiva et veena signifiant "instrument" ; dans la mythologie hindoue, Shiva voyant sa jolie épouse Parvatie endormie, avec son bras au-dessus de ses seins, décida de construire un instrument selon cette forme. Dans ce style Dagar, le rudra veena possède huit cordes, quatre cordes mélodiques sont frettées, trois cordes rythmiques proches du musicien ne sont pas frettées et sont accordées sur la même note et une dernière, bourdon, se situe à l’opposé. Deux grosses gourdes ‘tumbas’ servent de caisse de résonance de part et d’autre du tube. Si la documentation démontre que des femmes jouaient de cet instrument il y a plus de 2000 ans, cela était plus récemment mal vu et certains y voyaient une malédiction. Ce disque est important car il est le premier enregistré en vinyle, joué par une femme, PAL enseignant le rudra veena en Inde et à l’étranger ; elle fabrique également elle-même ses propres instruments. Elle a commencé la pratique de la musique à 12 ans (elle est née en 1992), au départ avec le chant et le violon, puis le rudra veena sous la tutelle de Pt. Bala Chander puis Vidushi Mita Nag et enfin les frères Gundecha.

Cet album d’environ 92 minutes se décompose en deux râgas (modes et thèmes musicaux sur lesquels se développent les improvisations, terme sanscrit : राग,રાગ, রাগ) : "Bhairavi" est un râga pour le matin et "Todi" pour la fin de matinée. En général, comme dans le cas présent, pour chacun d’eux on trouve un ordre ascendant et un descendant *. La note principale est tenue en bourdon tout le long de l'improvisation. Au sein du Druphad, les râgas possèdent trois phases. La première ‘alap’ est une exploration non rythmique du râga : l’identité du râga y est dévoilée, commençant par les octaves les plus bas. Dans la deuxième phase ‘jor’ un rythme est introduit qui va aller en accélérant. Dans la dernière ‘jhala’ un motif à quatre temps est utilisé, qui gagne en vitesse et peut devenir très rapide. Dans ce disque, chaque phase est subdivisée en sections (mais ce serait un peu fastidieux de les décrire).

Les cordes rythmiques placées près du musicien sont jouées à vide de la main droite (ce sont ces notes caractéristiques vibrantes aiguës qui reviennent continuellement et qui donnent ces sonorités exotiques aux oreilles des occidentaux), main droite qui doit également servir pour – comme à la guitare – pincer les cordes mélodiques. Le jeu des cordes mélodiques permet, comme avec une guitare, de les tirer vers le haut ou le bas (bend / reverse bend) et faire des effets de vibrato ; une méthode que les guitaristes connaissent sous le terme de ‘tapping’ est également possible, tout comme le glissando.

Si les deux râgas dans leurs deux parties sont enchanteurs et présentent des approches très diverses qui nous font apprécier toute l’étendue du talent de la jeune femme, j’avoue être particulièrement subjugué par "Bhairavi", et notamment "Bhairavi part 1" qui prend son temps et qui, avec ses cordes tirées et plaintives, qui ne devraient pas laisser insensibles certains amateurs de blues, est particulièrement empreint de mystère, de mysticisme et correspond le plus à l’image qu’on peut se faire des chauds paysages indiens sous un soleil jaune-orangé… images probablement tronquées par notre prisme occidental soit dit en passant. Il faudra évidemment un peu de temps à l’auditeur pour appréhender cette musique et en apprécier les subtilités et nuances. On ne passe pas d’un cerveau formaté pendant des années par la pop ou le rock au Druphad en un claquement de doigts (comme pour le jazz d’ailleurs) ; il est également possible qu’après quelques tentatives nombre d’entre vous n’y entendent toujours rien. Comme toute chose nouvelle il faut, je pense, tenter de l’aborder au départ sans y prêter trop attention, comme un thé qu’on laisse infuser. Il s’agit après tout d’une musique méditative ou contemplative qui se dévoilera progressivement, alors laissez de côté pour un moment votre City of Light de Bill Laswell/Coil/Tetsu Inoue et plongez aux origines de la musique classique nord-indienne avec ce très attachant The Holy Mother.



• Voici les thâts des deux râgas (thât = 7 notes de la gamme éventuellement munie d’altérations, les notes en minuscules sont modifiées d’un demi-ton par rapport à celles en majuscules, # indique une note augmentée) :

Bhairavi : S r g M P d n S (ascendant) // S n d P M g r S (descendant)

Todi : S r g M# d n S (ascendant) // S N d P M# g r S (descendant)

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- Madhuvanti Pal


1. Todi (part 1)
2. Todi (part 2)
3. Bhairavi (part 1)
4. Bhairavi (part 2)



             



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